COMMENT GAGNER de l'argent, parfois beaucoup d'argent, en toute légalité, en faisant le commerce des médicaments entre Etats adhérents à l'Union européenne ?
La recette est connue depuis belle lurette et est régulièrement dénoncée par les industriels du médicament. Il suffit pour un importateur qui a pignon sur rue, dans un pays où les prix des médicaments remboursables sont bas, de les acheter chez un grossiste, puis d'en changer le conditionnement et l'emballage et de les revendre dans un pays où les prix sont plus élevés. Les bénéfices sont dès lors éloquents, et les principales « victimes » sont les industriels du médicament qui, dans les pays aux prix élevés, subissent un manque à gagner. En octobre 2002 (« le Quotidien » du 15 octobre), Jean-François Dehecq, le patron de Sanofi-Synthélabo, qui n'avait pas encore racheté Aventis et ne faisait pas encore la « une » de tous les journaux, dénonçait avec force dans nos colonnes « ce commerce parallèle juteux, qui ne bénéficie ni aux patients ni aux systèmes de protection sociale, mais simplement aux exportateurs qui se contentent souvent de réemballer et de réétiqueter ».
Un commerce qui frappe de plein fouet le Royaume-Uni puisque l'on estime que 17 % des médicaments qui sont vendus dans ce pays proviennent du commerce parallèle. A l'inverse, la Grèce qui, jusqu'alors, était le pays où les médicaments avaient les prix les plus bas, exporte par l'intermédiaire de ce commerce parallèle 12 % de ses médicaments. Une étude de la « London School of économics », menée en 2003, confirmait l'ampleur de ce phénomène et sa tendance à s'accroître. Ce qui porte préjudice, disait cette étude, à la santé publique et surtout au progrès médical. Même s'il est toujours difficile d'en mesurer l'impact avec exactitude, les auteurs estiment que le commerce parallèle affecte les ventes des industriels d'environ 4,5 milliards d'euros par an, ce qui représente environ 5 % du total du marché pharmaceutique européen. Ce qui n'est pas rien. Et pour les responsables de la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (Efpia), ce manque à gagner se fait au détriment de la recherche et du développement des entreprises, donc de l'emploi.
Dans ce contexte, on comprend le souci qu'inspire à un certain nombre de chefs d'entreprise l'élargissement de l'Union européenne. « Aujourd'hui, explique Béatrice Kresmman, responsable des questions européennes au sein du Leem (Les Entreprises du médicament) , certains pays sont épargnés par le commerce parallèle, n'ayant pas des prix assez intéressants pour les exportateurs. Mais avec l'arrivée des pays de l'Est dans l'Union, les quinze pays qui composent aujourd'hui cette communauté seront atteints, même la Grèce, qui a les prix les plus bas. »
La France, qui a été déjà été touchée, certes de façon limitée, par ce phénomène lors de l'entrée dans l'Union de l'Espagne et du Portugal en 1986, pourrait donc subir les conséquences de ce nouveau commerce parallèle en provenance des huit pays d'Europe centrale et orientale (Peco), Chypre et Malte étant moins concernés.
Périodes dérogatoires.
C'est pour limiter ce risque de commerce parallèle que des périodes dérogatoires à la libre circulation des médicaments à travers les pays de l'Union ont été décidées pour ces nations de l'Est. La principale dérogation concerne le droit des brevets : elle prévoit qu'un produit breveté dans l'Union des Quinze, mais qui ne l'est pas chez les Huit du Peco, ne peut être réimporté, après son introduction à l'Est, vers l'un des pays de l'Union actuelle. Il faut faire bénéficier ces pays des médicaments innovants et essentiels pour la santé publique, mais il faut limiter les risques d'importations parallèles, tant que le brevet n'est pas tombé dans le domaine public. D'où l'importance de cette période transitoire durant laquelle les pays devront adapter leur législation et leur réglementation.
Un système préconisé par sir Tom McKillop, président de l'Efpia, et P-DG d'AstraZeneca, qui explique que tous les pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne doivent certes bénéficier pleinement de cette adhésion, notamment sur le plan de la santé publique, mais sans nuire au marché communautaire par les importations parallèles.
Reste quand même qu'un certain nombre de médicaments, et notamment de génériques, qui sont aujourd'hui sur les marchés des Peco, vont pouvoir circuler librement, ce qui peut mettre certains entrepreneurs dans l'embarras, sinon dans les difficultés.
Pour combattre le mal, l'industrie pharmaceutique européenne propose de mettre en place un prix de référence unique en Europe. Les Etats, selon leur situation économique, fixeraient le prix de leur médicament en fonction de ce prix, sans qu'il y ait de différences trop marquées d'un pays à l'autre. Cependant, si ce système était envisageable dans le cadre de l'Europe des Quinze, il semble difficilement applicable dans l'Europe des Vingt-Cinq, tant les différences économiques sont grandes entre, par exemple, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, d'une part, et des pays comme l'Estonie, la Hongrie ou la Slovaquie, d'autre part. Un phénomène qui n'a pas été suffisamment pris en compte par les autorités européennes.
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