L' EX-PRESIDENT Bill Clinton a réussi à réduire à néant le dernier espoir qu'il nourrissait : celui de laisser à la postérité le nom d'un des « grands » présidents américains.
Pourtant, il avait bien préparé sa sortie, d'au moins deux manières. En déployant une activité inlassable au cours de ses trois dernières semaines de mandat, grâce à une série de « décisions exécutives », appliquées sans recours à un vote parlementaire, et par lesquelles il espérait, dans divers domaines, accentuer la physionomie libérale de la société américaine avant que son successeur puisse mettre en uvre ses idées conservatrices ; et en concluant avec les autorités judiciaires chargées d'enquêter sur son passé une sorte d'accord amiable qui le mettait définitivement à l'abri des poursuites (non sans qu'il eût fait des concessions, puisqu'il a été radié du barreau pendant cinq ans).
Un « troisième mandat »
La frénésie du président sortant n'a pas manqué de faire de l'ombre à George W. Bush. Jusqu'au 20 janvier, la presse américaine s'est beaucoup plus intéressée à la maison que les époux Clinton ont achetée à Washington et aux bureaux loués à New York par M. Clinton qu'à l'équipe que constituait le nouveau président. Nombre d'éditorialistes se demandaient si Bill et Hillary, elle-même fraîchement élue sénateur de New York, parviendraient un jour à quitter le devant de la scène médiatique et si M. Clinton n'allait pas exercer, de fait, un troisième mandat, au moins au niveau de l'intérêt médiatique qu'il suscitait.
Malheureusement pour les Clinton, leur exposition aux feux de la rampe a révélé de tout nouveaux scandales : d'abord, on s'est posé des questions sur les dépenses somptuaires auxquelles se livraient les Clinton, avec une maison (environ sept millions de dollars) à Chappaqua, Etat de New York, une maison à Washington (2,7 millions) et des bureaux à Manhattan pour 800 000 dollars par mois.
Sans compter les innombrables cadeaux que le couple célèbre a sollicités de ses amis, allant même jusqu'à fournir une liste de suggestions dans les grands magasins, comme pour un mariage.
Sous la pression médiatique, les Clinton ont rendu une bonne partie des cadeaux, et l'ancien président a renoncé aux bureaux de Manhattan pour annoncer triomphalement qu'il s'installerait à Harlem, le quartier noir de New York, où il a été accueilli en héros. Mais les ennuis clintoniens ne faisaient que commencer. Le matin du 20 janvier, une heure avant de passer les pouvoirs à M. Bush, le président faisait parvenir au Département de la Justice une liste de plus de 150 noms, tous des repris de justice, qu'il venait de grâcier. Comme chaque fois qu'un président grâcie des personnages célèbres qui ont eu des démêlés avec la justice, la décision de Clinton a été très contestée. Mais au moins une de ces grâces est restée en travers de la gorge de l'Amérique, celle de Marc Rich, un financier qui doit 40 millions de dollars au fisc américain et s'est exilé en Suisse. Dans un article qu'il a publié dans le « New York Times », Clinton jure que la grâce accordée à Rich n'a rien à voir avec les dons au parti démocrate de Denise Rich, l'ancienne femme du financier en fuite. Il n'a convaincu personne et fait désormais l'objet de plusieurs enquêtes, notamment du Congrès où le représentant républicain Dan Burton, qui éprouve pour Clinton une haine viscérale et avait pris la tête du mouvement parlementaire pour la destitution du président, lui a promis de ne pas laisser impunis ses derniers écarts.
Voilà donc que les Clinton, déjà lourdement endettés auprès de leurs avocats, vont devoir financer de nouveaux frais pour leur défense. Ce qui augure mal des débuts de Mme Clinton au Sénat : l'opinion américaine, cette fois, semble écurée et reproche à l'ancien couple présidentiel à peu près tout : son goût immodéré de l'argent et du luxe, les honoraires de 100 000 dollars accordés à M. Clinton pour une seule conférence, la multiplication de leurs maisons de maître, la petitesse de leur comportement avec tous ceux qui ont dû payer par des cadeaux le bonheur de les avoir approchés un jour et des grâces parfois décidées sans consultation du Département de la Justice, et par lesquelles il semble que Bill Clinton a voulu combattre cet acharnement judiciaire propre aux Etats-Unis et dont il se considère comme la première victime.
Une nouvelle administration vertueuse
Du coup, la presse et l'opinion découvrent George W. Bush, qui n'est plus à leurs yeux l'ignorant et le demeuré que son père défendait pendant la campagne électorale en disant : « Mon garçon n'est pas un imbécile. » Du coup, la discrétion de l'administration Bush, assidue et travailleuse, semble parée d'une vertu que Washington, habituée pendant huit ans au désordre et aux scandales de la précédente administration, avait oubliée. Du coup, la première conférence de presse de « W » est saluée comme un exploit sous le prétexte que le nouveau président n'a commis aucune erreur de nom, aucune gaffe. Du coup, la nostalgie du charisme clintonien est effacée et laisse la place à l'admiration qu'inspire le sérieux de la nouvelle administration.
Non seulement M. Clinton a réussi à perdre le soutien de ceux qui, pendant le « Monicagate », ont milité contre la procédure de destitution, mais il n'a plus aucune chance d'être jugé par les historiens sur son bilan économique et politique, comme il l'espérait encore en janvier, quand, à quelques jours de son départ, il accumulait les décrets pour laisser une empreinte plus durable.
La semaine dernière, un récit publié par « Newsweek » décrivait assez bien ce président en fin de mandat qui ne dort plus pour ne pas abandonner au sommeil quelques heures délicieuses de pouvoir ; qui découvre, quelques jours avant d'assister à « l'inauguration » de son successeur, que décidément on ne grâcie pas assez de gens dans son pays ; qui tient à empaqueter lui-même chacun des objets ou dossiers personnels qu'il conservait dans le bureau Ovale alors que les minutes sont comptées ; qui semble s'accrocher à la Maison-Blanche au risque de s'y trouver encore à l'heure de l'arrivée du nouveau président ; qui affirme qu'il aurait été élu pour un troisième mandat si un amendement constitutionnel ne l'interdisait pas depuis la mort de Roosevelt.
Bref, un président privé de sommeil, accablé de fatigue, dont les idées se sont transformées en obsessions presque anormales et qui ne raisonne plus.
Les Américains ne l'ont pas vu dans cet état : dès qu'on lui tendait un micro, il redevenait aussitôt le Grand Séducteur du peuple, l'homme à l'aise dans le discours public, le prince du mot simple et direct, près des gens et respectueux de leurs suffrages, l'as de la communication. Un homme tellement heureux à la présidence qu'il a reconnu publiquement qu'il n'avait jamais éprouvé de plus grande joie que d'exercer ce magistère. Comme toute passion, celle-ci l'aura dévoré.
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