La diffamation de la paix

Publié le 22/01/2001
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L' ARGUMENT des Palestiniens selon lequel ils ne feront pas de concessions pour satisfaire Bill Clinton ou faire réélire Ehud Barak est déjà dépassé : M. Clinton a quitté la Maison-Blanche et M. Barak est déjà largement battu dans les sondages par son rival, Ariel Sharon.

Ils ne peuvent donc consentir à modérer leurs revendications qu'au nom de la paix. La guerre sans pitié à laquelle se livrent l'armée israélienne et les combattants palestiniens en Cisjordanie et à Gaza montre de manière irréfutable que le recours quotidien à la violence ne peut produire que davantage de morts, de souffrances et de destructions à l'intérieur même des frontières que réclament les insurgés, et qu'il risque d'aboutir à un vaste conflit régional.
Ce qui n'empêche pas les dirigeants palestiniens de tenir un langage martial ni leur presse de dire exactement ce que dit leur ennemi exécré, Ariel Sharon, à savoir que « les accords d'Oslo sont morts ».

Le rejet d'Oslo

L' intifada bis a été, pour les Israéliens, l'occasion de se demander ce qu'ils pouvaient bien gagner d'un processus de paix qui a accru leur insécurité ; et, pour les Palestiniens, de remettre en cause la procédure diplomatique lancée par Oslo. Bien qu'elle ait été parrainée par un pays neutre, bien qu'elle n'ait associé que des Israéliens et des Palestiniens exclusivement, sans la participation américaine, bien que les négociations d'Oslo aient inclus la totalité du dossier, y compris Jérusalem, le droit au retour, l'eau et les frontières de l'Etat palestinien, bien qu'elle ait rapproché sensiblement des hommes jusqu'alors ennemis irréconciliables, elle est présentée par bon nombre d'intellectuels palestiniens comme une vaste supercherie qui consistait à soumettre leur peuple aux intérêts d'Israël.
Il est tout de même curieux que les détracteurs d'Oslo aient mis sept ans à découvrir des failles béantes dans le contenu des accords alors conclus. Il n'est pas surprenant, en revanche, que l' intifada soit justifiée a posteriori par une erreur profonde de stratégie diplomatique qui n'aurait pas été décelée plus tôt et dont, en passant, Yasser Arafat serait le grand responsable.
De la même manière, les négociations de Camp David auraient été été menées tambour battant par un Clinton qui recherchait une consécration. C'est tout à fait vrai, mais ceux qui insistent sur cet aspect secondaire du dossier sont ceux qui réclament depuis 52 ans un Etat pour les Palestiniens et nous ont longuement expliqué que les actes de violence n'ont été accomplis que par un peuple excédé par cette attente de plus d'un demi-siècle.
Comme Oslo est coupable de tous les péchés, on cherche un autre modèle diplomatique et on se réfère de plus en plus à la négociation de Madrid. Lancée par le secrétaire d'Etat américain de George Bush-père, James Baker, en 1991, elle a été, pour ceux qui s'en souviennent, une foire d'empoigne où les Syriens et les Israéliens échangeaient des injures. Ytshak Shamir, du Likoud, était alors Premier ministre d'Israël, mais les Palestiniens continuent de dire que la nature de l'interlocuteur israélien leur est parfaitement indifférente ; en outre, tous les Etats arabes étaient associés aux pourparlers de Madrid, même ceux qui n'avaient rien à y faire, et la conférence s'est transformée en tribune des fanatismes.
Or, les Palestiniens ont été les premières victimes de toutes les guerres que les pays arabes ont livrées à Israël et qu'ils ont toutes perdues. Le problème ne concerne pas la totalité du monde arabe, dont deux pays ont aujourd'hui un traité de paix en bonne et due forme avec Israël. Il concerne, depuis 1948, les Israéliens et les Palestiniens principalement, pour ne pas dire exclusivement. Vouloir retourner au processus de Madrid, c'est s'assurer que quelques années de plus seront perdues pour la paix.

La négation de l'autre

De septembre à novembre 2000, les Palestiniens ont remporté la bataille de la communication, en se servant souvent de la désinformation. Mais plus personne ne croit aujourd'hui que l' intifada ne présente pas aujourd'hui pour Israël, toujours accusé d'être le plus fort, un très sérieux danger. Personne ne croit plus que les Palestiniens se bornent à mener un combat de libération : les jugements expéditifs, les exécutions sommaires sous les applaudissements de la foule invitée à y assister, les règlements de comptes entre Palestiniens, la chasse aux « collaborateurs », vrais ou faux, l'assassinat du dirigeant de la radio-télévision palestinienne dans des conditions obscures ont terni l'aspect moral du soulèvement, ont démontré que le pouvoir palestinien est débordé et que ce qui se prépare, ce n'est pas tout à fait l'avènement d'une démocratie.
Pendant quarante ans, les Israéliens ont ignoré les Palestiniens, croyant qu'ils ne devaient faire la paix qu'avec les grandes nations arabes, comme l'Egypte. Mais, depuis près de huit ans qu'ils admettent qu'Israël n'a pas d'avenir sans règlement du problème palestinien, ce sont les Palestiniens qui nient leur droit à l'existence. Les articles d'intellectuels palestiniens sont nombreux à nier aux juifs le droit de vivre en Israël. Libre à chacun d'adopter une attitude maximaliste, mais, dès lors qu'on n'offre pas le choix à l'adversaire, qu'on ne s'étonne pas qu'il préfère une guerre de survie à une paix capable de l'anéantir.
Or, non seulement l'appartenance des Israéliens à Israël est niée, mais le droit au retour de quatre millions de réfugiés palestiniens (et de leurs descendants) est présentée comme une revendication fondamentale sans laquelle la paix ne saurait être conclue. Cette revendication, dans les articles signés par des Palestiniens, est assortie à la fois d'arguments moraux qui paraîtront irréfutables à certains, et du vocabulaire qui décrit le totalitarisme et le racisme : les termes d'apartheid, de bantoustan, de ségrégation sont employés alors même que les Israéliens envisagent un Etat palestinien souverain, et alors que certains dirigeants palestiniens reviennent à l'idée d'un Etat palestinien unique où les Israéliens constitueraient une minorité, et deviendraient vraisemblablement, et du même coup, au cœur d'un monde arabe de plusieurs centaines de millions d'âmes, les victimes d'un autre apartheid.
Le droit au retour n'est pas contestable, mais il est, en l'occurrence, inapplicable. Il implique que les Juifs qui ont dû quitter les Etats arabes au lendemain de la guerre d'indépendance d'Israël, rentrent dans leur pays d'origine. Et il implique, dans ce cas, que la notion d'Etat juif est illégale, alors que tous les Israéliens, bien sûr, et l'immense majorité de la diaspora s'identifient à un tel Etat. Il y a le droit international, et il y a la réalité internationale. Ce que des réfugiés trouveraient dans l'Israël d'aujourd'hui, ce n'est pas la Palestine qu'ils ont quittée il y a cinquante ans et que leurs enfants n'ont jamais connue. Si les Palestiniens veulent obtenir par la négociation ce que la guerre n'a jamais pu leur offrir, alors les Israéliens seront tentés par la guerre.

L'inévitable Sharon

Ce qui nous ramène à la popularité dont bénéficie Ariel Sharon, dont le programme n'exclut nullement un accord avec les Palestiniens, à la différence près qu'il entend ne leur donner que la moitié de ce que leur propose M. Barak. L' intifada aura donc réussi, si M. Sharon l'emporte, à réduire de 50 % ce que les Palestiniens peuvent obtenir aujourd'hui même de M. Barak, et à annuler tout compromis sur Jérusalem. Les Palestiniens, il est vrai, n'aiment guère M. Barak. Mais, s'ils ne veulent pas choisir entre Charybde et Scylla, ils devraient tout faire pour que Shimon Peres, qui a de meilleures chances que M. Barak selon les sondages, prenne la tête de son parti. En tout cas, ce n'est pas en maudissant Oslo qu'ils y parviendront.
On cherche en vain, dans les revendications des Palestiniens, une logique qui les conduirait à la création de leur Etat, dont les négociateurs israéliens eux-mêmes disent qu'on n'en a jamais été aussi proche. On se demande pourquoi la violence doit continuer. On se demande si la diplomatie, la notion de compromis, le principe de l'échange ont encore un sens. On s'interroge sur un peuple et des dirigeants qui n'ont rien, mais exigent tout.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6840