« JE N’AY VOULU escrire en autre langaige que le vulgaire de nostre nation, ne voulant estre de ces curieux, et par trop supersticieux, qui veulent cabaliser les arts et les serrer soubs les loix de quelque langue particulière », explique Paré dans son avis au lecteur au début de ses œuvres rassemblées en 1575. Étienne Gourmelen, doyen de la Faculté de médecine, entouré de médecins qui auraient dû soutenir Paré, tenta de s’opposer à la mise en vente du livre, prétextant qu’il contenait des choses abominables, contraires à la bonne morale. L’affaire fut menée devant le Parlement, sans succès et le livre fut distribué et mis en vente sans modifications.
« C’était la première fois qu’une somme de chirurgie était publiée en langue française », souligne Évelyne Berrriot-Salvadore. Certes, il existait d’autres ouvrages en langue vernaculaire et ce dès le Moyen Âge, mais juste des petits opuscules pour lutter contre la peste, par exemple. Le « Guy de Chauliac », écrit en latin, avait été traduit en français à l’usage des barbiers chirurgiens
Paré amorce le mouvement de vulgarisation des traités de gynécologie à usage des matrones. Le tournant est pris vers 1530, quand on commence à traduire les grands textes de l’antiquité à Lyon (Galien, Hippocrate) sous forme de petits traités à l’intention des chirurgiens de robe courte, qui n’ont pas la formation universitaire des chirurgiens de robe longue. Pour la première fois, le chirurgien peut avoir accès à des connaissances sans passer par le médecin. Mais elles lui sont réservées, car il ne s’agit surtout pas de divulguer le savoir médical aux « indoct ».
Le début d’une nomenclature.
C’est un mouvement général de réflexion sur les langues vernaculaires qui se produit en Europe, et notamment en Allemagne, France et Italie. Qui culmine en France avec la « Défense et illustration de la langue française » de Joachim du Bellay (1549), après l’édit de Villers-Cotteret adoptant le français comme langue du royaume (1539).
Était-il possible de publier un texte scientifique en vernaculaire ? Au début, certains ouvrages présentent une sorte de sabir, mélange de français et de latin. De nombreux médecins réfléchissent à ce que pourrait être une nomenclature médicale. Deux tendances se dessinent : importer du latin et du grec, créer une terminologie française. Les termes sont encore imprécis. Le même mot ne désigne pas les mêmes parties chez tous les médecins et les traducteurs doivent s’adapter en fonction du contexte. On trouve par exemple bras ou brachium ou humerus, ou encore, radius, rayon ou petit fossile du bras (voir encadré).
Le vernaculaire limitait la diffusion de l’œuvre mais celle d’Ambroise Paré, chirurgien de quatre rois, fut traduite dès 1582 en latin. Le latin n’est pas abandonné pour autant par le milieu médical. Il restera d’ailleurs la langue savante des médecins (cf. Molière) jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et au travail des encyclopédistes. Quant au langage médical actuel, c’est avec l’anglais qu’il a aujourd’hui fort à faire pour éviter de se transformer en sabir.
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