POUR SUIVRE le déroulement de la croissance utérine et pour évaluer le risque de prématurité, les obstétriciens se fondent, depuis les années 1990, sur l'analyse du taux sanguin d'alpha fœto-protéine au cours du deuxième trimestre de la grossesse. Parce que les enfants prématurés ou malformés ont un risque majoré de mort subite au cours de leur première année, une équipe de médecins écossais a tenté d'établir l'existence d'un lien entre l'alpha fœto-protéine et le risque de mort subite dans une population d'enfants tout-venant.
Pour cela, ils ont analysé un registre des naissances très complet (il inclut plus de 99 % des naissances sur le territoire écossais) et ils ont couplé ce travail avec une analyse des décès inexpliqués de nourrissons après autopsie.
A partir de 1991, toutes les femmes enceintes vivant en Ecosse ont bénéficié d'un suivi sérologique des marqueurs d'anomalies fœtales et les résultats de ces tests ont été consignés sur le registre global des naissances. Entre 1980 et 2001, 1 321 646 enfants sont nés dans cette région. L'incidence des morts subites inexpliquées du nourrisson est passée de 17 pour dix mille naissances vivantes en 1980 à 5 pour dix mille en 2001 et, au total, 1 673 cas ont été recensés. Cette baisse spectaculaire de l'incidence qui s'est produite au début des années 1990 semble être en rapport avec les campagnes d'informations sur le bon couchage des enfants et les risques liés au tabagisme des parents.
214 532 naissances.
L'analyse a porté sur les naissances et les décès survenus entre 1992 et 1995. Durant cette période, 214 532 enfants sont nés et on a recensé 201 décès par mort subite inexpliquée entre 1992 et 1996. La lecture attentive des certificats de décès a conduit les investigateurs à éliminer 87 enfants qui présentaient des malformations ou dont les données autopsiques n'étaient pas exhaustives. Le travail a donc porté sur 114 décès (soit une incidence de 5,3 pour dix mille naissances vivantes).
Dans un second temps, les auteurs ont analysé l'incidence des décès en fonction du taux d'alpha fœto-protéine prélevée entre la 15e et la 21e semaine de gestation. Ils ont ainsi défini 5 groupes en fonction de la valeur de cette mesure. Lorsque le taux mesuré était minimal, l'incidence des morts subites était de 2,7 pour dix mille naissances, alors que, lorsqu'il était situé dans les valeurs supérieures, ce taux passait à 7,5 pour dix mille. Les auteurs ont ensuite pris en considération deux autres facteurs de risque connus de mort subite du nourrisson : l'âge gestationnel et le poids de naissance. Après ajustement pour ces valeurs, le risque de décès restait lié significativement au taux d'alpha fœto-protéine.
Une dysfonction placentaire.
Les auteurs détaillent leur hypothèse sur ce lien. L'alpha foeto-protéine joue chez le foetus un rôle similaire à celui de l'albumine chez l'adulte. C'est elle, en effet, qui contribue à l'existence d'une pression oncotique fœtale. Une élévation de cette valeur dans le sang maternel en l'absence d'anomalie fœtale semble indiquer une majoration de la perméabilité placentaire et, de ce fait, une dysfonction de cet organe d'échanges. Pour le Dr Gordon Smith (Cambridge), « les résultats de cette étude semblent confirmer les données déjà obtenues chez l'animal ». De manière expérimentale, en effet, il a déjà été prouvé que les dysfonctions placentaires à l'origine d'une hypoxie fœtale peuvent conduire à une redistribution du flux sanguin cardiaque par modification des chémorécepteurs de surface cellulaire induisant ainsi une majoration du flux sanguin cardiaque et cérébral. Si les animaux sont soumis à une hypoxie modérée, mais chronique, tout au long de la grossesse, on assiste à une maturation fœtale accélérée des mécanismes du contrôle circulatoire se manifestant au cours de la gestation et au moment de la naissance par un pouls lent et une hypertension artérielle relative. Pour les auteurs, « ces phénomènes pourraient conduire à des dysfonctions cardio-respiratoires qui pourraient se révéler de façon dramatique au cours de la première année de vie entraînant le décès de l'enfant. Mais cette hypothèse physiopathologique demande encore confirmation ».
Si cette étude de grande taille semble être solide méthodologiquement, elle n'a pas pris en compte certains facteurs socio-économiques et n'a pas quantifié de façon précise le tabagisme maternel. Pourtant, l'analyse des certificats de décès montrait que l'incidence des morts subites était plus élevée chez les femmes jeunes qui ne travaillent pas et ont déjà eu plusieurs enfants. Néanmoins, ce travail pourrait permettre de mieux comprendre l'origine de ces décès qui, étiquetés inexpliqués, restent difficilement acceptables pour les familles.
« New England Journal of Medicine », vol. 351: 978-986, 2 septembre 2004.
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