LE PIERCING est dangereux, on le sait parfaitement, mais, en dépit notamment des efforts du Dr Jean-Baptiste Guiard-Schmid, infectiologue à l'hôpital Tenon, auteur du « Guide des bonnes pratiques » publié aux éditions de l'AP-HP, la réglementation sanitaire tarde à venir. Le vide réglementaire paraît encore plus anormal après la mort d'une étudiante drômoise de 19 ans, Elise O., décédée des suites d'une endocardite infectieuse, après la pose d'un piercing nasal (« le Quotidien » du 18 mars).
Un département, cependant, vient d'ouvrir la voie à l'encadrement des pratiques : la Savoie. « Cela fait cinq années que nous travaillons pour diminuer les risques de contaminations virales liées aux virus des hépatites ou du VIH/sida, ainsi que les contaminations bactériennes liées à certains actes comme le piercing ou le tatouage », explique au « Quotidien » le Dr Olivier Rogeaux, infectiologue au CH de Chambéry, président de ReVIH 73 (réseau ville hôpital pour la prise en charge de la pathologie VIH et des hépatites), coordinateur de cette démarche à notre connaissance inédite en France.
Une démarche collective qui s'est appuyée sur la collaboration des médecins (ReVIH et Ddass, de l'Education nationale, du préfet, du président du conseil général, ainsi que de la trentaine de professionnels inscrits dans les pages jaunes de l'annuaire savoyard.
C'est ainsi que les discussions engagées entre les différents partenaires ont abouti à la rédaction de deux chartes départementales des règles de bonne pratique, une pour le tatouage, une pour le piercing.
Limite d'âge.
Le consensus a été réuni entre tous, même si certains points ont fait l'objet de rudes débats, tels l'article 1, qui fixe les limites d'âge : 18 ans pour le tatouage et pour certains piercings (langue, poitrine, sphère génitale), 14 ans pour les autres localisations, mais à la condition que les parents signent un accord écrit et qu'ils accompagnent le mineur chez le professionnel.
Le professionnel a une obligation d'information de son client sur l'acte, ses risques, ses contre-indications et un contrat client doit être signé, selon un consentement libre et éclairé (article 6). Des normes sont fixées pour les locaux (qui doivent comprendre une salle d'accueil, une salle de travail et un local de stérilisation séparés, article 3), pour le matériel, qui doit être à usage unique (aiguilles, capsules, gants, champs, rasoirs et tout ce qui peut être en contact avec la peau, articles 4 et 5), pour la tenue vestimentaire et l'hygiène corporelle du professionnel (article 7), ainsi que pour la gestion des déchets infectieux (article 10).
A ce jour, une dizaine de professionnels auraient signé ce document. « On a ramé, confie le Dr Catherine Lombard-Legrand, l'une des initiatrices de l'opération depuis 1995, année où elle fut nommée chargée de mission sida à la Ddass de Savoie. Le VIH nous a appris qu'il faut sortir du milieu médical pour aller là où sont les risques et faire le travail de prévention. Notre chance, estime-t-elle, dans ce petit département, a été d'obtenir l'adhésion des principaux acteurs et aussi du préfet et du président du conseil général. C'est grâce à la décision de ces derniers que le règlement sanitaire départemental a pu être revu le 29 octobre 1998, en intégrant des mesures particulières aux tatoueurs, à l'aménagement de leurs locaux et à l'hygiène générale de leur pratique pour qu'ils ne soient en aucun cas une cause de transmission d'affections contagieuses (articles 117 et 118 du titre VI). »
Inspections.
Et c'est grâce à cette inscription que la Ddass est aujourd'hui juridiquement autorisée à procéder à des inspections. Une première campagne de contrôles sera lancée dès ce mois-ci. « Nous serons accompagnés d'un vérificateur de la Dgccrf (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), qui s'assurera du respect de la charte et contrôlera les bijoux et les produits de tatouage, cependant que nous vérifierons l'application du règlement sanitaire, explique le Dr Marie-Claire Tramoni, médecin-inspecteur de la Ddass. Nous serons particulièrement attentifs au souci des professionnels de refuser les clients présentant des contre-indications. »
Dans un premier temps, l'accent sera surtout mis sur la sensibilisation des professionnels aux règles d'hygiène. Mais cette pédagogie du risque pourra s'assortir, si besoin, de sanctions, avec des procès-verbaux qui seront transmis au procureur pour infraction au règlement sanitaire.
« En parallèle, précise le Dr Rogeaux, nous organisons des formations techniques sur la stérilisation du matériel, les allergies, les facteurs de risque. Le grand public est lui-même averti au moyen d'un dépliant illustré (« Se faire percer, oui, se faire faire la peau, non ! ») et des autocollants certifiant du respect de la charte des bonnes pratiques par les professionnels adhérents seront apposés sur leurs vitrines. »
« Les médecins de ville doivent aussi s'impliquer dans le travail de prévention primaire, estime le Dr Lombard-Legrand. Plutôt que de mettre l'accent sur les risques, nous leur recommandons d'interroger les gamins qui les consultent sur les raisons qu'ils ont de vouloir marquer leur corps. Il faut les inviter à la réflexion et leur proposer de réfléchir pour en reparler quinze jours après. »
Les médecins savoyards sont conscients de la difficulté de leur démarche, entre prévention et répression. Ils savent qu'à trop réglementer on risque de provoquer l'enterrement de pratiques qui, alors, échapperaient à tout contrôle. Mais à Chambéry, on n'est quand même pas peu fier d'avoir mené à son terme une démarche de santé publique qui reste dans les limbes à Paris.
La Direction générale de la santé a été informée, sans réaction officielle à ce jour.
Les endocardites bactériennes en hausse
L'incidence de l'endocardite bactérienne dans les pays industrialisés s'accroît, souligne une publication de Millar et al. (« Journal of Antimicrobial Chemiotherapy », 2004, 53, pp. 123-126) et les pratiques du piercing pourraient y contribuer.
Le phénomène, selon une enquête menée chez les étudiants new-yorkais touche 42 % des garçons et 60 % des filles. Entre 1991 et 1999, seulement trois cas d'endocardite associés à ces pratiques ont fait l'objet de publications, alors que cinq cas ont été rapportés au cours des deux dernières années.
La plupart des patients présentaient une valvulopathie sous-jacente et dans les deux tiers des cas, des staphylocoques étaient identifiés. Le délai entre le piercing et la survenue des premiers symptômes de l'endocardite était d'un mois environ.
Parmi les raisons de la survenue de l'infection, on note le site du piercing, souvent un réservoir potentiel de germes (cavité buccale, muqueuses), la lenteur de la cicatrisation (six semaines pour la langue et jusqu'à douze mois pour le nombril), le défaut d'asepsie lors de la procédure de piercing, ainsi qu'une hygiène difficile à respecter autour du bijou.
Il n'existe pas à ce jour de recommandation sur l'antibioprophylaxie à prescrire.
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