L ES progrès de la longévité ont été spectaculaires au XXe siècle. Le nombre de centenaires s'est multiplié en France (une centaine en 1901, 200 en 1950, 6 840 au 1er janvier 1998 et quelque 9 000 actuellement) et l'espérance de vie à la naissance est parmi les plus élevées au monde (75,2 ans pour les hommes, 82,7 pour les femmes selon les dernières estimations).
L'âge maximal au décès (1) a également augmenté, avec une accélération récente de la hausse, si on se fie aux chiffres suédois (les registres français ne sont pas tout à fait aussi fiables) : situé entre 100 et 105 ans pour les femmes et entre 97 et 102 ans pour les hommes au milieu du XIXe siècle, il est passé à 107-112 ans pour les femmes et 103-109 ans pour les hommes depuis une vingtaine d'années. Et, bien sûr, on n'oublie pas le record de Jeanne Calment, décédée à 122 ans et 5 mois, la doyenne actuelle de l'humanité étant également une Française, Marie Brémont, âgée de 114 ans (bientôt 115, elle est née le 25 avril 1886) ; pour les hommes, le record a été atteint par un Californien né au Danemark, Kristian Mortensen, mort en 1998 à l'âge de 115 ans.
Mais, comme le soulignent deux chercheurs de l'INED (Institut national d'études démographiques), Jacques Vallin et France Meslé (2), en rapportant ces données, « cela ne signifie pas nécessairement que la longévité humaine augmente ». Car plus il y a, grâce aux progrès médicaux, de personnes vivant jusqu'à 90 ans, plus la probabilité qu'au moins une personne atteigne 100 ans, 105 ans, voire davantage, est grande. A l'inverse, le fait que la baisse de la mortalité s'observe à des âges élevés et que, même à 100 ans, l'espérance de vie augmente depuis plusieurs décennies (elle est actuellement de 1,9 an pour les hommes et de 2,1 ans pour les femmes) plaide en faveur d'un réel allongement de la durée limite de la vie humaine.
Deux hypothèses
Deux hypothèses continuent à s'opposer, résument les chercheurs de l'INSERM. La première, défendue notamment par le biologiste James Fries ou le démographe Jay Olshansky, pose que la réduction actuelle de la mortalité aux grands âges est la phase finale du processus rapprochant la grande majorité des membres d'une génération (3) d'un âge avancé mais qui n'évoluera plus guère au-delà de 85 ans. Selon la deuxième hypothèse, plus optimiste, la longévité ne cesserait d'évoluer. Les chercheurs de l'INED citent un article de James Carey sur les « perspectives biodémographiques de la longévité humaine » à paraître dans la revue « Population » : la longévité n'aurait dépassé l'âge de la ménopause que de 7 à 11 ans chez Homo habilis, puis de 15 à 18 ans chez Homo erectus pour passer à plus de 70 ans chez les premiers Homo sapiens et à plus de 120 ans aujourd'hui. Une évolution qui permettrait de « rêver à une espérance de vie de 150 ans » et même à une quasi-immortalité pour certains individus échappant à la règle commune.
L'espérance de vie à 100 ans au XXIIe siècle
Jacques Vallin et France Meslé trouvent l'hypothèse de Fries et Olshansky « excessivement pessimiste ». Mais Olshansky persiste et signe dans un article à paraître dans « Science » du 23 février, dont les données ont été rendues publiques dimanche à la réunion annuelle de l'AAAS (American Association for the Advancement of Science). Jay Olshansky (Ecole de santé publique de l'université de l'Illinois, à Chicago) et ses coauteurs (Bruce Carnes, de l'université de Chicago, et Aline Désesquelles, de l'INED, à Paris) estiment que les chances d'une espérance de vie à la naissance (les deux sexes confondus) atteignant bientôt 100 ans ou au-delà sont faibles, voire nulles, quels que soient les progrès dans l'hygiène de vie accomplis, les vitamines ou les hormones prises. Selon leurs calculs, si les tendances observées de 1985 à 1995 se maintiennent, il faudra, pour atteindre ce chiffre symbolique, attendre le XXIIe siècle en France et au Japon, et le XXVIe siècle aux Etats-Unis. Quant à une espérance de vie à 85 ans, elle devrait être atteinte en France en 2033, au Japon en 2035 et aux Etats-Unis en 2182 (les calculs statistiques sont précis !). Et de conclure : « Les gains futurs en espérance de vie vont finalement se mesurer en jours ou en mois plutôt qu'en années », tout en recommandant de se préoccuper plutôt de l'espérance de vie en santé (sans handicaps) plutôt que de la longueur de la vie.
Et le salut ne viendra pas de la génétique, comme l'a expliqué, lors de la même session de la réunion de l'AAAS, le Pr George Martin (centre de recherche sur la maladie d'Alzheimer de la faculté de médecine Washington, à Seattle). Selon lui, l'étude de la biologie de l'évolution apporte une bonne et une mauvaise nouvelle. « La bonne nouvelle, c'est que la durée de la vie, comme tout ce qui a trait à la vie, est plastique », comme le montre la possibilité d'allonger de 50 %, par sélection génétique, la vie de la mouche du vinaigre (drosophile). « La mauvaise nouvelle est qu'il y a beaucoup de choses qui peuvent aller mal quand nous vieillissons », qu'elles dépendent de combinaisons de données génétiques qui peuvent varier énormément d'un individu à l'autre, et qu'il faudra donc « des interventions difficiles, coûteuses et sur mesure pour obtenir des gains substantiels d'espérance de vie ».
(1) Age au décès le plus élevé observé dans une population au cours d'un laps de temps donné.
(2) « Vivre au-delà de 100 ans », « Population et sociétés », n° 365, février 2001.
(3) « Rectangularisation de la courbe de survie », actuellement plutôt en pointe.
Portrait-robot d'un(e) centenaire
Qui sont les centenaires français ? Réponse dans le rapport final de l'étude lancée en 1990 par la fondation Ipsen, signé du Dr Michel Allard et de Jean-Michel Robine et qui vient d'être édité.
L'image type du centenaire, en fait, une centenaire, est le suivant : « Elle dit avoir travaillé toute sa vie, elle est plutôt gaie, optimiste, confiante dans l'avenir, ouverte sur le monde. Elle a du caractère, voire un "sacré caractère". Elle est autoritaire, voire tyrannique, traitant parfois ses enfants comme de jeunes enfants (bien qu'ils soient septuagénaires ou même octogénaires). Peu encline à se plaindre, elle aime bien que l'on s'intéresse à elle. Cherchant encore à plaire, à séduire, aimant la vie. Elle vit sans excès mais sans privation ; ce n'est pas une adepte de l'ascèse. »
Mais si les femmes sont beaucoup plus nombreuses à « passer le cap fatidique », les centenaires hommes sont en bien meilleure forme.
Les auteurs soulignent aussi, au-delà de ce portrait-robot, « l'hétérogénéité extrême de ce groupe de personnes »: Plus les hommes sont vieux, plus ils sont différents.
« L'année gérontologique » (supplément), Serdi (320, rue Saint-Honoré, 75001 Paris), 196 pages.
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