J ACQUES CHIRAC avait écrit le 8 septembre 1999 à Charles Pilet, alors président de l'Académie nationale de médecine, pour confier à la compagnie de la rue Bonaparte trois rapports. Ce faisant, le chef de l'Etat créait l'événement, car, si sa démarche s'inscrivait bel et bien dans le droit de fil des rapports entre l'Académie et son protecteur, la première ayant traditionnellement vocation à instruire le second sur tous les sujets ayant trait à la médecine, on n'était plus habitué, depuis des lustres, à de telles commandes venant de l'Élysée.
Quelque dix-huit mois plus tard, les académiciens remettent donc ce matin au président la réponse qu'il attendait. Ce faisant, eux aussi surprendront.
Pas sur les deux premières questions. Certes, la commission qui a planché sur « l'accompagnement de la fin de vie », avec le Pr Louis Hollender comme rapporteur, et celle qui s'est consacrée aux « avancées dans le domaine des douleurs et de leur traitement chez l'adulte et chez l'enfant » (rapporteurs, le Pr Louis Auquier pour les adultes et le Pr Michel Arthuis pour les enfants) n'ont pas démérité, tout au contraire. Mais leurs travaux, à raison d'une ou deux séances mensuelles pour auditionner les experts, synthétisés en deux volumes d'une soixantaine de pages, ont surtout valeur de mises au point approfondies et remarquablement documentées. Elles n'ont naturellement pas vocation à entretenir quelque polémique que ce soit.
Il en va tout autrement de la troisième question, sur « la situation internationale de la France du point de vue du coût et de l'efficacité des soins médicaux ». Le rapport a été confié par le bureau de l'Académie à un spécialiste des questions de santé publique, le Pr Marcel Legrain, ancien président de la Commission des autorisations de mise sur le marché, puis du conseil d'évaluation de l'AP-HP et ancien expert de l'Organisation mondiale de la santé au titre du médicament.
Les défauts du système
Au cours de 17 auditions menées conjointement avec les Prs Gérard Dubois et Guy Nicolas, la commission s'est notamment penchée sur les études menées précédemment sur la question par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et l'OMS, cette dernière, on s'en souvient, ayant classé la France au premier rang mondial de la performance des systèmes de santé (« le Quotidien » du 21 juin 2000).
« Mais, dans ces affaires, le choix des critères est bien sûr déterminant, confie un membre de l'Académie. L'OMS, à cet égard, a privilégié le côté résultat par rapport à l'investissement. Nous ne nous inscrivons pas en faux et confirmons, dans une certaine mesure, le coup de chapeau qui avait été décerné à la France par l'organisation. Cela dit, nous sommes beaucoup plus circonspects : nous soulignons en particulier les deux défauts majeurs de notre système : les disparités régionales, d'une part, et les inégalités sociales, d'autre part. Nous faisons aussi allusion aux cafouillages observés dans la gestion des organismes sociaux. »
L'interventionnisme de l'Etat
Les académiciens, quoi qu'il en soit, n'ont pas voulu tomber dans le piège à forte connotation politique, qui pouvait sembler leur être tendu : « Notre rôle, prévient-on rue Bonaparte, n'est pas d'arbitrer dans le débat entre un libéralisme à l'américaine et un étatisme outrancier. »
Se gardant de toute instrumentation partisane, le rapport met cependant en cause « le degré d'interventionnisme de l'Etat dans la gestion de la santé publique » et en appelle à une urgente et impérieuse régionalisation des décisions, ainsi qu'à une vaste réflexion sur l'utilisation de l'argent public.
Des conclusions qui ne manqueront pas de surprendre, venant d'une compagnie jadis connue pour une prudence qui confinait souvent à la frilosité.
Mais les académiciens vont plus loin encore. Ils ont décidé, de leur propre initiative, de remettre aujourd'hui à Jacques Chirac, en plus des rapports que celui-ci leur avait expressément commandés, le rapport signé Louis Hollender sur la désaffection des médecins pour les carrières hospitalo-universitaires. Cette enquête très documentée réalisée auprès de 851 médecins qui exercent dans les CHU, avait révélé le profond malaise de ces PU-PH et MCU-PH, souvent écurés par la multiplication des tâches administratives, leurs activités de recherche et d'enseignement s'effectuant au détriment des soins, et alors que les rémunérations sont inadaptées (« le Quotidien » du 20 novembre 2000).
« Nous tirons le constat d'échec d'une politique qui est un réel désastre intellectuel, va jusqu'à s'écrier un académicien. D'un côté, les médecins sont victimes de la mainmise de l'Etat sur leur travail, ce qui entraîne la désaffection dans les CHU ; de l'autre, la judiciarisation outrancière de la responsabilité médicale entraîne d'autres désaffections, dans un certain nombre de spécialités. Dans ces conditions, c'est bien un appel au secours que nous adressons aujourd'hui au président de la République. »
A l'Elysée, on explique que ce message nourrira la réflexion présidentielle sur chacun des sujets abordés, Jacques Chirac se réservant d'intervenir, le moment venu.
Pour l'heure, en s'exprimant avec une vigueur de ton très inaccoutumée, l'Académie se prend à savourer le rôle retrouvé d'acteur majeur dans le débat sur les questions de santé. Alors que la création du Comité consultatif national d'éthique, puis celle des Agences de sécurité (AFSSA et AFSSA-PS) avaient semblé la dépouiller de la plupart de ses prérogatives, l'Académie de médecine pourrait bientôt s'associer à l'Académie des sciences pour créer une instance indépendante d'expertise. Un projet, engagé par le Pr Maurice Tubiana (vice-président de la première et membre de la seconde) et Hubert Curien (président de l'Académie des sciences), avec la bénédiction, entre autres, du Pr Claude Sureau, président de l'Académie de médecine en 2000, devrait voir le jour au printemps.
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