PRATIQUE
Analyse sémiologique approfondie
Chez le sujet âgé, leur survenue peut être fréquente dans certaines pathologies. Leur présentation clinique, à la fois riche et variée, nécessite une analyse sémiologique approfondie indispensable à l'orientation diagnostique.
On distingue principalement quatre groupes étiologiques : organique, toxique, psychiatrique et démentiel.
L'étiologie organique
Elle n'est pas négligeable puisque des hallucinations peuvent survenir dans tout syndrome confusionnel.
- On recherchera donc une fièvre, un état septique, un trouble hydroélectrolytique telle qu'une déshydratation, une hypoglycémie ou une hypercalcémie.
- On recherchera également un déficit sensoriel conduisant à une perception erronée de la réalité. Le syndrome de Charles Bonnet a été décrit à ce propos. Il s'agit de la survenue d'hallucinations visuelles chez des sujets âgés non déments ayant une baisse d'acuité visuelle. Observé chez 11 % des mal-voyants âgés, les hallucinations visuelles sont riches et détaillées.
L'examen neurologique reste indispensable puisque des hallucinations peuvent survenir dans l'épilepsie, les accidents vasculaires cérébraux, les tumeurs cérébrales ou encore la maladie de Parkinson.
- Dans l'épilepsie, l'hallucination peut être visuelle (impression de lumière intense, de couleurs), auditive, olfactive ou vestibulaire. Sa nature présente une valeur localisatrice de la crise. La réalisation d'un EEG confortera le diagnostic.
- Dans les accidents vasculaires cérébraux, les hallucinations sont volontiers associées à un syndrome confusionnel et à des signes de localisation.
- Dans les tumeurs cérébrales, l'évolution est paroxystique, dominée par des accès hallucinatoires. Certaines formes trompeuses peuvent orienter vers une étiologie psychiatrique. Ainsi, les tumeurs temporales peuvent se révéler par des tableaux complexes avec détérioration mentale, troubles du langage et troubles sensoriels. La classique crise uncinée d'une tumeur temporale dure quelques secondes. Elle débute par un sentiment d'étrangeté ou d'angoisse associé à une perception olfactive ou gustative désagréable. Le patient perçoit ensuite des visions panoramiques avec sentiment de déjà vu, parfois il revoit des souvenirs d'enfance. L'ensemble survient dans un contexte de désintégration globale de la conscience analogue aux états crépusculaires.
Les tumeurs occipitales peuvent conduire à des hallucinations visuelles peu élaborées.
L'hallucinose pédonculaire se révèle par des hallucinations visuelles correspondant à un défilé silencieux d'objets, de personnages très colorés et s'observe dans les tumeurs de la base du cerveau.
En cas de doute diagnostique, la réalisation d'un scanner cérébral sera d'un apport précieux.
- Dans la maladie de Parkinson, environ 26 % des patients ont des hallucinations plutôt visuelles (vision de personnages par exemple). Ces hallucinations sont en plus favorisées par le traitement antiparkinsonien.
L'étiologie toxique
- En rapport avec un éthylisme chronique, le classique delirium tremens où les hallucinations sont surtout visuelles à la fois riches et terrifiantes. L'hallucinose des buveurs se présente sous forme d'hallucinations acoustico-verbales à thématique persécutive et menaçante. Elles surviennent chez un sujet non confus et régressent en quelques jours.
- En rapport avec une prise médicamenteuse, les hallucinations sont loin d'être rares chez le sujet âgé. Elles sont principalement visuelles avec déroulement scénique évoquant le rêve. Favorisées par la mauvaise observance thérapeutique du sujet âgé, les hallucinations surviennent sur un terrain fragile d'autant plus exposé au risque de surdosage qu'il existe une dénutrition ou une insuffisance rénale sous-jacente. Certaines molécules sont connues pour induire des phénomènes hallucinatoires. C'est le cas pour la L dopa, les ß-bloquants, les benzodiazépines, la théophylline, les opiacés, la digitaline, le salbutamol, la théophylline et certains antibiotiques comme les céphalosporines, la gentamicine ou la pénicilline. Le sevrage simple va conduire à une régression des symptômes.
L'étiologie psychiatrique
- On peut observer des hallucinations chez des sujets âgés anciennement psychotiques. Par exemple dans 83 % des paranoïas et paraphrénie tardives. Elle sont surtout auditives.
Dans les psychoses délirantes et hallucinatoires chroniques, la conservation de la lucidité va s'apposer au noyau délirant et hallucinatoire. Les perceptions sont modifiées par le délire dont la thématique est persécutive. On observe des hallucinations visuelles et cénesthésiques qui se construisent sur des fonctions cognitives et intellectuelles intactes.
- Les mélancolies délirantes peuvent s'accompagner de pseudo-hallucinations acousticoverbales ou visuelles.
L'étiologie démentielle
Les hallucinations surviendraient chez environ 50 % des patients déments tout au long de leur existence.
Au cours de l'évolution démentielle, le patient perd progressivement ses repères, il n'arrive plus à investir le monde extérieur, ni à donner un sens à ce qui survient. Des hallucinations mnésiques où des épisodes du passé vont se mêler au présent peuvent apparaître.
Les hallucinations sensorielles en tant que symptômes productifs auraient dans ce cas un rôle réel d'adaptation face à une réalité qui échappe de plus en plus au sujet. Contre le vide interne qui s'installe progressivement, elles pourraient avoir un rôle d'autoprotection en essayant de redonner du sens à l'existence. Dans une certaine mesure, elles pourraient préserver le sujet âgé de l'angoisse et de la dépression en lui permettant de se repérer dans le monde qu'il essaie de se construire.
Les hallucinations s'observent principalement dans 4 types de démence : la démence Alzheimer, la démence à corps de Lewy, la démence vasculaire et la démence sous corticale.
- La démence Alzheimer s'accompagne d'hallucinations dans environ 25 % des cas, surtout aux stades évolués de la maladie. Les hallucinations sont peu élaborées et peuvent être auditives à type de conversation, ou visuelles sous forme de personnes imaginaires ou d'animaux.
- La démence à Corps de Lewy présente des hallucinations dans 80 % des cas. Elles sont visuelles, récidivantes et précises dans leur description (individus, visages, animaux). C'est la précision importante des détails qui permet de différencier les hallucinations de la démence à Corps de Lewy des autres hallucinations (de la maladie d'Alzheimer et de la démence vasculaire).
- La démence vasculaire peut s'accompagner d'hallucinations visuelles lorsque l'atteinte se fait au niveau occipital. L'atteinte du cortex temporal peut donner lieu à des hallucinations auditives.
- La démence sous-corticale par l'intermédiaire de la maladie de Parkinson, qui conduit à une évolution démentielle dans 40 % des cas, présente des hallucinations qui sont plutôt visuelles.
Dans tous les cas, il est utile de bien distinguer chez le sujet âgé dément les phénomènes hallucinatoires des épisodes liés au rêve car les modes de révélation peuvent prêter à confusion.
Conclusion
La survenue d'hallucinations chez le sujet âgé requiert une analyse sémiologique rigoureuse. L'identification d'une cause sous-jacente conditionne la prise en charge ultérieure du patient. On gardera à l'esprit que les hallucinations peuvent être porteuses d'un message. Au delà du symptôme, ce sera plus sa signification qu'il importera de saisir. Ceci est particulièrement vrai pour les étiologies démentielles où les hallucinations pourraient avoir un rôle thérapeutique en préservant le sujet de l'angoisse du vide et du non sens.
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