D ANIEL BESSE est acteur. C'est depuis le plateau et en s'adossant à son expérience de la parole théâtrale qu'il écrit et si « Les Directeurs » n'est pas sa première pièce, c'est la première fois qu'un de ses textes passe l'épreuve des planches.
Il ne pouvait être en meilleures mains que celles de ce grand homme de théâtre qu'est Etienne Bierry. Dira-t-on un jour tout ce que la création doit à cet homme modeste, remarquable interprète et metteur en scène sensible, lecteur hors pair toujours capable de reconnaître, malgré défauts et scories, ce qui « donnera », comme donne un bel arbre ?
« Les Directeurs » est une fable sur le monde de l'entreprise. Les personnages y portent des noms de stations de métro. Le grand patron s'appelle Montparnasse (Philippe Magnan), le directeur Bercy (Daniel Besse lui-même), les autres protagonistes, tous cadres de haut niveau, sont affublés de même manière : Odéon (Stéphane Bierry), Châtelet (François Siener), Denfert (Nicolas Briançon), Grenelle (Virginie Peignien). Ajoutez une journaliste (Javotte Rougerie) et un maître d'hôtel (Denis Lemaître).
Cette convention ne gêne en rien, elle souligne bien le caractère « échangeable » de ce que raconte Daniel Besse. Il situe l'action dans une société d'armement, ce pourrait être une banque ou une salle de rédaction. Sauf que, ici, dans ce monde, on est ultra-diplômé : ceux qui n'ont pas fait Polytechnique sortent des Mines... Mais l'homme est un loup pour l'homme et la plus parfaite intelligence n'interdit pas la médiocrité.
Un manipulateur médiocre
La pièce raconte comment un homme probe et compétent peut être détruit par un groupe qui se jette sur une petite phrase comme sur un os à ronger. Une petite phrase anodine, lancée par un manipulateur médiocre et qui finira par triompher sans que personne, même sachant la vérité, n'intervienne, n'ait le courage d'intervenir. C'est noir, pessimiste. Le Iago de service est un minable. Mais la vie est ainsi, la vie de toute entreprise est ainsi et c'est sans doute ce qui donne tant de force à la fable de Besse. Bien sûr, on pense au « Glengarry » de Mamet. Mais ici, tout est plus insidieux. Denfert est toxique. Il empoisonne toutes les relations entre les personnages avec d'autant plus de facilité que nous sommes dans un monde de frustrés qui ont mis toute leur identité dans leur image sociale, leur pouvoir, leurs hauts salaires.
Dans un décor harmonieux et astucieux de Yovan Josic, Etienne Bierry dirige avec un tact profond les huit acteurs. Le rythme est bon, les « personnages » ont immédiatement une épaisseur. Les dialogues de Besse sont aigus. Ni réalistes, ni faux. Et puis les interprètes sont formidables : Javotte Rougerie, très vraisemblable en investigatrice ; Virginie Peignien, belle, fine, laisse bien affleurer les blessures tues mais aussi la cruauté de Grenelle ; François Siener compose un Châtelet décalé, hâbleur, pas méchant mais égoïste et content de ses diplômes, de son intelligence ; Daniel Besse, en retrait comme le rôle de Bercy le demande, est très bien ; Nicolas Briançon est le manipulateur, l'homme jeune qui enrage et qui sous une componction de chanoine, cache des trésors de perversité et de désir de pouvoir ; l'Odéon de Stéphane Bierry est un pur. L'auteur n'en fait pas un parfait. Il a ses naïvetés. Elles sont du temps. L'acteur, dans une maturité neuve, donne un poids très intéressant à ce beau caractère vulnérable, naïf, qui veut sauver la planète... Dominant ce petit monde, Montparnasse. Qui voit tout de très haut. Philippe Magnan, avec une subtilité remarquable, impose la figure de cet homme cultivé vraiment et sans doute vraiment cynique.
C'est fascinant. Drôle, jubilatoire. Bref, faut-il le dire : une vraie soirée de théâtre. Rare et essentiel.
Théâtre de Poche-Montparnasse, à 21 h du mardi au samedi, en matinée le samedi à 18 h et le dimanche à 15 h. Durée : 1 h 45 sans entracte (01.45.48.92.97).
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