J ACQUES CHIRAC s'est prononcé contre le clonage thérapeutique, non sans avoir auparavant consulté la plupart des chercheurs et des éthiciens qui comptent en France. La curiosité du chef de l'Etat pour les questions de bioéthique et de recherche biomédicale est indéniable. Et le dossier ne peut pas être confiné aux experts. Il est logique que le pouvoir politique se définisse et prenne, en dernier ressort, des décisions qui engagent l'avenir.
Cependant, tant que le débat est limité aux spécialistes, les arguments exposés par les uns ou par les autres sont marqués du sceau de leur conviction intime, elle-même appuyée sur leur savoir et sur leur sincérité. Quand les politiques s'emparent du sujet, on peut toujours craindre qu'ils n'en fassent une cause propre à rehausser leur image et, en ces temps électoraux, à leur conférer un avantage.
Bien qu'il soit douteux qu'une prise de position sur le clonage ait une influence sur le vote des électeurs, ce qui tend déjà à exonérer M. Chirac des arrière-pensées qu'on pourrait lui prêter, il se trouve que Lionel Jospin, l'autre tête de la cohabitation, a pris position en faveur du clonage thérapeutique peu de temps avant que M. Chirac fasse connaître son opinion.
On est donc amené à se demander si cette différence claire entre les deux hommes ne va pas, elle aussi, alimenter la campagne pour l'élection présidentielle de 2002 ; on peut même penser que, décidément, il suffit que l'un dise blanc pour que l'autre réponde noir.
Une bonne et une mauvaise nouvelle
Dans ce débat qui s'ouvre au sujet du clonage, il y a donc une mauvaise et une bonne nouvelle. La mauvaise est que la France risque d'adopter une orientation sur les progrès de la science médicale, ou de la science tout court, pour des raisons plus politiques que morales. La bonne est que l'importance du débat enrichit la vie politique et que, encore une fois, il est indispensable que le pouvoir détermine la marche à suivre dans ce domaine, après s'être imprégné des conseils scientifiques les plus sages.
Dans ce cas, le clonage est-il de droite ou de gauche ? D'un côté, il y a le danger d'un dérapage désormais bien identifié qui inspire aux croyants des réserves qu'ils puisent dans leur foi. Ils ne sont pas les seuls, d'ailleurs, à exprimer leur inquiétude ; nous sommes tous avertis des vices du meilleur des mondes. De l'autre, il y a une autre foi, mais moins en Dieu qu'en l'homme, capable de surmonter des obstacles et reprendre espoir à propos de maladies graves et répandues pour lesquelles la médecine, à l'heure actuelle, est en échec thérapeutique.
Ce qui vient à l'esprit de tout homme de bonne volonté, en ce qui concerne le clonage thérapeutique et la recherche sur les cellules souches de l'embryon, c'est que l'humanité ouvre une porte qui donne sur la guérison généralisée du diabète ou de l'Alzheimer. L'optimisme anime ceux qui militent pour le clonage thérapeutique ; ils ont une confiance inaltérable dans les prouesses humaines. Et quelle que soit l'attitude de chacun à l'égard de la religion, on verra toujours une famille chercher tous les moyens possibles pour soigner un être cher soudain livré aux effets terrifiants d'une maladie qui menace sa vie ou sa santé mentale.
Les progrès de la science se nourrissent constamment de l'activisme de ceux qui, confrontés aujourd'hui à une fatalité devant laquelle l'homme est impuissant, veulent rejoindre cette frontière où le mal peut, demain, être arrêté.
De l'autre, il y a ceux qui veulent à tout prix mettre un terme à une dérive à la Frankenstein. Pas plus qu'on n'attribuera à M. Chirac des intentions obscurantistes, on ne soupçonnera M. Jospin de favoriser une science de films d'horreur.
Une pédagogie nécessaire
La droite et la gauche n'ont donc pas grand-chose à voir dans cette affaire, sauf si on admet que la présence de Dieu est plus grande dans un camp que dans l'autre. On regrettera peut-être que, sur un sujet qui aurait pu les réunir, les deux acteurs de la cohabitation soient encore divisés. Ou bien on se félicitera de ce qu'ils animeront le débat, pour ne pas dire la polémique, dans les mois qui viennent et, cette fois, non pas sur des thèmes où ils sont très prévisibles mais sur un sujet où ils devront faire beaucoup de pédagogie. Les implications du clonage humain n'occupent pas les préoccupations quotidiennes du citoyen moyen, qui a, comme on dit, d'autres chats à fouetter. Mais qui n'en est pas moins concerné.
Dans tout dérapage scientifique, c'est moins la science qu'il faut mettre en cause que l'usage qu'on en fait. La condamnation de la science par un pouvoir politique n'a jamais été, dans l'histoire, que la réaction de l'obscurantisme aux découvertes du génie humain. C'est un gouvernement qui, en censurant Galilée, a interdit à la Terre de tourner autour du soleil. Eppur si muove... répondit-il en se bornant à un simple constat de faits établis. Aujourd'hui, l'humanité se souvient de Galilée, pas de ses ennemis.
De la même façon, il va être très difficile d'empêcher les scientifiques de procéder à des clonages humains. Nous disposons de nombreux exemples, la conception d'un enfant par une femme ménopausée ou les mères-porteuses, de procédures qui devraient être interdites ou le sont effectivement, mais qui existent quand même et se multiplient. Pour interdire, il faut d'abord un accord mondial auquel souscriraient tous les pays. Le professeur italien Severino Antinori, qui annonce un clonage humain pour l'an prochain, et le physicien américain Richard Seed, qui compte le réaliser au Mexique, n'ont aucun scrupule d'ordre éthique et ne sont guère impressionnés, ni par les foudres du Vatican, ni par les lois fédérales américaines.
Un débat plus subtil
Jusqu'à aujourd'hui, il n'y a pas eu d'arme, nucléaire ou autre, qui ne fût utilisée par un gouvernement parce qu'elle était inhumaine. Certains progrès de la science sont donc en tous points consternants. En revanche, le débat sur le clonage thérapeutique pose un sérieux problème : il s'agit de soigner et de guérir des gens un jour, pas de se livrer à un exploit pour une gloire individuelle. M. Chirac pense que, en interdisant le clonage thérapeutique, on empêchera le clonage humain tout court. M. Jospin se demande pourquoi on devrait priver des patients condamnés de la chance de survivre. Les deux attitudes sont respectables, ce qui rend le débat moins sonore, mais plus subtil.
Il demeure que l'homme a toujours été doué du pouvoir de réfléchir sur sa propre existence, donc sur son origine. En parcourant l'infiniment petit, il cherche à savoir d'où il vient. Ne peut-on pas affirmer que cette quête correspond à une dynamique si puissante et si durable que rien ne la freinera ? Certains refusent d'aller dans une zone qui, selon eux, appartient à Dieu. D'autres veulent s'y rendre, soit pour l'y rencontrer soit pour prouver que tout, en définitive, est explicable.
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