Q U'EST-CE qui conduit l'homme à rechercher de la nourriture, à l'ingérer, à cesser la prise alimentaire, puis, après un laps de temps, à recommencer la même démarche ? « Le comportement peut être défini comme l'ensemble des réponses de l'organisme aux stimulations provenant soit de l'environnement, soit du milieu intérieur », explique France Bellisle. Ces réponses peuvent être plus ou moins simples ; celles régissant la couverture des besoins nutritionnels relèvent de mécanismes fort complexes.
La première étape d'une démarche scientifique est l'observation. Le comportement se décrit en termes de nature, de fréquence, de taille, de structure, d'intensité, et dans ses relations de dépendance avec les différents éléments de l'environnement. Ce dernier est décrit en termes de milieu (naturel ou social), d'horaires (quotidiens, saisonniers), etc. « Seules des mesures précises de ces paramètres permettent d'étudier le comportement alimentaire humain », souligne France Bellisle. Cependant, l'observation de modèles animaux peut aider à l'analyse. En effet, grâce aux travaux de Le Magnen décrivant la structure chronologique de la prise alimentaire du rat de laboratoire, il a été possible de comprendre les facteurs physiologiques et sensoriels d'ajustement de la consommation aux besoins. Chez l'homme, la méthode du semainier alimentaire (où le sujet inscrit tous les événements ingestifs survenus pendant sept jours consécutifs, avec les circonstances matérielles, sociales, psychologiques qui les accompagnent) fournit des informations très utiles.
Il s'agit ensuite de mettre en lumière les données ainsi recueillies.
Tout pousse à manger
La faim et la satiété reposent théoriquement sur des signaux physiologiques reflétant l'état nutritionnel. Mais l'homme évoluant aujourd'hui dans un contexte plus social que physiologique, il apprend à avoir faim à une certaine heure et à manger suffisamment pour ne plus avoir faim jusqu'à l'heure du repas suivant.
Toutefois, la satiété (qui détermine la taille du repas) étant très sensible aux qualités sensorielles des aliments offerts et à leur diversité, l'homme moderne mange souvent au-delà de la simple couverture de ses besoins.
Le comportement alimentaire est le résultat de l'évolution naturelle de l'homme. La recherche et l'ingestion de substances riches en énergie étaient durant des millénaires indispensables à sa survie dans un milieu aux ressources limitées et fragiles. L'homme moderne a conservé ces motivations. Il manifeste un goût prononcé pour les aliments énergétiques. Il semble donc que les mécanismes d'adaptation des prises alimentaires soient plus opérants dans le sens d'une augmentation des prises liées à une élévation des besoins que dans celui d'une réduction de la consommation liée à une baisse des dépenses. « Les progrès réalisés dans la production et la distribution des denrées alimentaires favorisent l'hyperphagie, constate France Bellisle ; les mécanismes biologiques qui limitent la prise alimentaire afin d'éviter l'excès chronique des apports sont pris en défaut chez un nombre de plus en plus grand de nos contemporains qui deviennent obèses. »
Les moyens d'action
La description et la compréhension des déterminants des prises alimentaires ont pour objectif de parvenir à prédire un comportement inadapté et éventuellement de proposer un moyen de le modifier. Il est notamment légitime de s'interroger sur les conséquences en termes de comportement alimentaire des aliments dits allégés. Différents travaux ont observé une compensation énergétique, annulant partiellement ou totalement l'épargne calorique représentée par l'ingestion de produits allégés. Cela peut néanmoins permettre de modifier le contenu nutritionnel dans un sens favorable (diminution des lipides saturés ou des sucres rapides, par exemple).
Cela étant, il est bien difficile, mais pas impossible, de parvenir à modifier un comportement. Un certain nombre de moyens théoriques d'action sont disponibles : modification de l'environnement, apprentissages progressifs, renforcement des comportements positifs, élimination des facteurs de pérennisation des mauvaises habitudes... « Une meilleure diffusion des connaissances établies et le développement du soutien à la recherche, spécialement en France, où le retard est très important par rapport aux pays anglo-américains, sont éminemment souhaitables », conclut la lauréate.
Lecture Benjamin Delessert, à l'occasion de la remise de son 15e prix à France Bellisle, au cours de la 41e Journée annuelle de nutrition et de diététique de l'Hôtel-Dieu, Paris.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature