LE QUOTIDIEN - Que pensez-vous de la méthode choisie par Elisabeth Guigou pour engager la concertation avec les professionnels de santé ?
Dr DINORINO CABRERA - J'ai un sentiment très partagé. L'initiative du 25 janvier pouvait sembler excellente. Malheureusement, il n'en est rien sorti de concret. S'il y a une situation de crise, si les dépenses augmentent trop rapidement et qu'il y a urgence à trouver un nouveau système de régulation, alors pourquoi ne pas engager des négociations tout de suite et conclure rapidement ? Tout le monde est d'accord sur le diagnostic et la ministre elle-même reconnaît que l'on dispose désormais de tous les outils. Alors, pourquoi se donner encore six mois de réflexion ? La seule chose que je constate, c'est que, en attendant, on continue à appliquer le système des lettres clés flottantes, pourtant unanimement condamné par les participants à la réunion.
Vous renouvelez donc votre demande d'un moratoire dans l'application du dispositif actuel de maîtrise des dépenses de santé.
Tout le monde dit que cette loi est mauvaise, mais personne ne veut la changer, c'est extraordinaire ! Le problème semble être la forte augmentation des dépenses de médicaments. Bien sûr, ce sont les médecins qui les prescrivent, mais ce ne sont pas eux qui les mettent sur le marché, ni qui en fixent les prix. S'ils ne sont pas efficaces, il ne faut pas les autoriser. J'en ai assez que l'on culpabilise sans arrêt les médecins en ce qui concerne l'augmentation des dépenses de santé. Et je ne veux pas prendre le risque de nouvelles décotations d'actes. En novembre déjà, la ministre aurait pu, dans un geste d'apaisement, surseoir aux décisions de la Caisse nationale d'assurance-maladie. Elle ne l'a pas fait. Qui nous dit qu'elle n'agira pas de même (en approuvant des baisses de tarifs) dans les mois à venir ?
La menace du boycott
Cela veut-il dire que vous refuserez de participer à la concertation annoncée ?
Personnellement, j'aurais souhaité une véritable négociation, pas une concertation. Ce n'est pas la méthode choisie par le gouvernement. La ministre veut se donner du temps politique, car il y a les élections municipales, et du temps pour réfléchir. Ce qu'elle veut, c'est une paix sociale électorale. Très bien ! Mais le prix à payer est le gel des mesures de maîtrise des dépenses. Nous ne participerons pas aux travaux sans cela. C'est un piège médiatique. Or nous avons déjà assez perdu de temps comme ça. Nous serons toujours présents pour une vraie négociation, pas pour un ersatz de discussion.
Mais n'avez-vous pas peur de laisser passer une occasion de remettre à plat un système que vous combattez depuis cinq ans maintenant ?
Cette concertation est pour moi un leurre. Le SML n'a pas attendu le 25 janvier pour faire des contre-propositions. Nous avons demandé aux caisses d'assurance-maladie d'en discuter, elles n'ont pas voulu. Aujourd'hui, si le gouvernement veut changer de système, c'est facile. On n'a pas besoin de personnalités extérieures pour cela, ni de six mois de réflexion. Le gouvernement veut donner le sentiment qu'il fait une ouverture. En réalité, il enterre le problème. Peut-être qu'il s'agit après tout d'une volonté délibérée, car, pendant ce temps-là, il reste dans la même logique et essaie de faire passer malgré tout des réformes comme le médecin référent et le tiers payant que nous refusons. C'est un scénario comme un autre. Car si l'on écoute aujourd'hui le discours des caisses et du gouvernement, il me semble que l'on pourrait se mettre d'accord tout de suite. Alors, qu'attend-on exactement ?
Pour une responsabilité professionnelle individuelle
Sur quelles bases pourriez-vous trouver aujourd'hui un accord ?
Sur une responsabilité professionnelle individuelle des médecins. Ces derniers veulent exercer librement et n'avoir de comptes à rendre que sur leur pratique. Il suffit pour cela d'élaborer des recommandations de bonnes pratiques, de s'assurer qu'il y ait un suivi de formation et que les médecins fassent des actes dans leur champ de compétences. A partir de là, on a suffisamment d'éléments pour s'assurer qu'un médecin a une bonne pratique, éviter les sanctions et lui offrir des honoraires décents. Si, par contre, les médecins veulent exercer en dehors des pratiques reconnues par la profession, ils n'ont rien à faire dans le système conventionnel.
Dans ce schéma-là, la fixation d'un objectif de dépenses n'a plus de sens.
Fixer un objectif de dépenses a fortiori opposable aux médecins est une stupidité. Il ne peut être que comptable et, quand on sait que les chiffres de l'assurance-maladie peuvent varier d'une année sur l'autre, suivant le nombre de jours de liquidation ou le retard dans le traitement des dossiers, ça n'a aucun sens. On peut se donner un objectif à titre indicatif, mais un objectif opposable à grand renfort de sanctions est idiot. On a vu qu'il n'était de toute façon jamais respecté. De plus, le dispositif actuel montre que l'on n'est pas dans une logique de régulation des dépenses, mais de plafonnement des honoraires des médecins. On ne se soucie pas de savoir si les patients sont bien soignés, mais on agit simplement sur la rémunération globale des professionnels.
Réflexion positive avec les syndicats de salariés
Est-ce sur ces bases là que porte la réflexion que le SML, la CSMF et la FMF conduisent actuellement avec FO, la CGT, la CFTC et la CFE-CGC ?
Oui. La réflexion engagée dans ce cadre est très productive et se situe dans la sphère qui nous convient, c'est-à-dire qu'elle porte sur le principe d'une maîtrise médicalisée des dépenses. Les autres (ceux qui ne participent pas à ces discussions) la souhaitent, mais ne proposent rien de concret. Je ne sais pas si nous parviendrons à un accord, car chacun devra faire des concessions, mais nous nous donnons les moyens d'y parvenir. Si c'est le cas, je souhaite que nous puissions conclure avant le mois de juin, avant le bouclage du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 et surtout avant le renouvellement des conseils d'administration des caisses d'assurance-maladie (1). Car aujourd'hui, nous ne savons pas si le patronat va continuer à siéger et quelle sera la prochaine majorité de gestion de la CNAM. Est-ce qu'elle va être identique, mais avec un projet politique différent ? C'est toute la question. Nous, ce qui nous intéresse, c'est un changement de politique. Ou Jean-Marie Spaeth en prend conscience, et on travaillera avec lui, ou bien on souhaitera un changement de majorité.
(1)Le mandat des administrateurs des caisses nationales d'assurance-maladie est, depuis le plan Juppé, de cinq ans. Désignés par le gouvernement au mois de juillet 1996, ils doivent donc être renouvelés cette année.
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