De notre correspondant
R EDIGE par trois psychiatres, l'article est paru dans le journal« Psychological Science in the Public Interest », une publication de l'American Psychological Association.
Les auteurs, dirigés par le Dr Scott Lilienfeld, professeur de psychologie à l'université Emory d'Atlanta, s'en prennent non seulement au test de Rorschach, mais aussi à deux autres tests très couramment utilisés, le TAT (Thematic Apperception Test) et le Draw-a-Person (dessinez un personnage), aux Etats-Unis et dans le monde. « Il y a un fossé très large, déclare le Dr Lilienfeld, entre l'utilisation clinique de ces tests et ce que dit la recherche sur leur validité. La recherche continue à montrer qu'ils ne sont pas aussi utiles, dans la plupart des cas, pour atteindre des objectifs professionnels et sociétaux, que ne le croient beaucoup de cliniciens ».
Une grande influence sociale
Or ces tests ont une influence notoire dans le règlement de cas litigieux, par exemple la garde d'un enfant dont les parents divorcent ou le comportement d'un détenu qui réclame sa libération anticipée, ou encore la véracité des accusations contre une personne qui serait coupable de déviances sexuelles. L'universalité des tests - et plus particulièrement du test de Rorschach - n'est donc acceptable, selon le Dr Lilienfeld, que si leur validité est reconnue, ce qui n'est pas le cas, et ne l'a jamais été. Dans ces conditions, pourquoi fonder des décisions de justice sur des critères contestables ?
Les psychiatres ont recours au test de Rorschach pour définir la personnalité profonde d'un sujet en le confrontant à une image au sens ambigu qui offre plusieurs interprétations possibles. La réponse du sujet est censée révéler des traits de caractère sous-jacents, des motivations subconscientes, des conflits intérieurs réprimés.
Le TAT est une technique qui consiste à montrer au sujet une série d'images dépeignant des scènes domestiques et à lui demander de faire un récit basé sur chacune des images. Le Draw-a-Person consiste à demander au sujet de dessiner un personnage, homme ou femme, puis la personne du sexe opposé.
Les auteurs admettent que, dans certaines situations spécifiques, les trois tests peuvent avoir un intérêt clinique. En revanche, ils affirment que ces tests ne permettent pas d'évaluer les composants d'une personnalité, de prévoir le comportement d'un sujet en milieu familial ou professionnel ou de découvrir un traumatisme qui conduirait la personne examinée à une déviance sexuelle ou un acte criminel.
Or les tests exigent une procédure longue et minutieuse qui, parfois, dure des heures et qui est donc très coûteuse, alors même qu'elle ne produit pas les résultats qu'en attendent les cliniciens. Les auteurs suggèrent donc de limiter l'usage des tests à des objectifs de recherche et d'en circonscrire l'interprétation « au faible nombre d'indices dérivés de ces techniques dont l'utilité a été confirmée empiriquement ».
« Tout ce que nous avons voulu faire, explique le Dr Lilienfeld au "Quotidien", c'est attirer l'attention du corps médical sur une pratique très largement répandue, mais dont la valeur ne mérite pas tous ces efforts, d'autant qu'elle peut conduire à des erreurs d'appréciation sur la personnalité réelle des sujets. Notre cible, c'est principalement les étudiants en psychiatrie ou en psychologie, qui doivent prendre leurs distances à l'égard du test de Rorschach. Mais nous ne doutons pas que nos conclusions seront souvent très mal accueillies. »
« Une idée préconçue »
Notamment par le Dr Irving Weiner, professeur de psychiatrie à l'université de Floride du Sud et président de l'International Rorschach Society, qui critique sévèrement l'étude de Lilienfeld et coll. « Le contenu de l'étude n'a pas été replacé dans son contexte, affirme-t-il, ce qui en renforce artificiellement les conclusions. Et pourtant, les tests ont été utilisés de manière très efficace pendant longtemps, avec des résultats qui ont été soutenus par la communauté scientifique ».
Un autre spécialiste, le Dr Gregory Meyer, professeur de psychologie à l'université de l'Alaska à Anchorage, estime que les auteurs « sont partis de l'idée préconçue que les tests ne sont pas bons. C'est comme si on avait demandé à un "créationniste" (quelqu'un qui croit que Dieu est l'unique créateur du monde, NDLR) de rédiger un rapport sur la théorie de l'évolution et de faire des recommandations à partir de ce rapport ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature