Par le Pr Philippe Bouchard*
LA CARENCE ESTROGÉNIQUE qui résulte de la ménopause est responsable de symptômes gênants ou invalidants chez plus de 50 % des femmes. Le traitement hormonal de la ménopause utilise un estrogène éventuellement associé à un dérivé de la progestérone. En France, on considère qu'il y a environ dix millions de femmes ménopausées dont environ 2 millions sont traitées.
Disponible depuis 1942 aux Etats-Unis pour la voie orale et depuis 1960 en France (1974 pour la voie transdermique), le traitement hormonal de la ménopause a soulevé de multiples controverses depuis la publication des résultats des grandes études épidémiologiques disponibles depuis les années 1990, dont les résultats s'opposent aux conclusions des données expérimentales sur les effets bénéfiques pléïotropiques des estrogènes.
Il apparaît aujourd'hui, à la lumière des résultats des grandes études récentes, toujours approprié de proposer un traitement aux femme de 50 ans, donc, récemment ménopausées, qui présentent des symptômes du climatère susceptibles d'altérer leur qualité de vie. A ce jour, le seul traitement efficace reste le traitement hormonal de la ménopause. Ce traitement ne peut être proposé aux femmes qui présentent des facteurs de risque. Enfin, il est certainement très différent de traiter une femme de 50 ans récemment ménopausée, sans facteurs de risque identifié, chez qui les risques cardio-vasculaire et de cancer du sein sont faibles, plutôt qu'une femme de plus de 60 ans, a fortiori si elle présente des facteurs de risque.
L'évolutions des idées.
Le traitement de la ménopause a été accepté avec un grand enthousiasme, notamment après la parution du livre de Robert Wilson « Feminine Forever » où la femme ménopausée, victime d'une injustice biologique, est l'objet d'une déchéance rapide, qui ne peut être évitée que par la prise d'un traitement hormonal. Une vingtaine d'études ouvertes ont rapidement confirmé que le traitement était très bénéfique, puisqu'il réduit les symptômes, prévient l'ostéopénie et diminue le risque cardio-vasculaire de 20 à 40 % (1). Des études in vitro confirment d'ailleurs l'intérêt du traitement (1).
Après la démonstration du risque d'hyperplasie de l'endomètre chez les femmes qui reçoivent des estrogènes seuls, la Nurse Health Study, en 1994, suggère que le traitement par les estrogènes augmente le risque de cancer du sein après trois à cinq ans d'exposition à celui-ci. En 1997, les faits sont établis par la métaanalyse de Valérie Beral et al., qui montre une augmentation du risque relatif de cancer du sein avec les estrogènes de 1.27(2).
Ainsi, les effets bénéfiques du traitement sont contrastés par le risque de prescrire des hormones chez des femmes qui en raison de leur âge sont exposées au cancer du sein et surtout au risque de maladie cardio-vasculaire, comme le montrent les grandes études des années 2000.
Hers et WHI, deux études majeures.
Les résultats cliniques des grandes études sur l'efficacité du traitement hormonal de la ménopause méritent d'être analysés de près (voir tableau).
- L'étude Hers (Heart and Estrogen/Progestin Study Hers and Hers II) (3,4), publiée en 1998, est une étude d'intervention (randomisée contre placebo), qui analyse l'effet du THS sur le risque cardio-vasculaire, en prévention secondaire, pendant quatre, six ou huit ans, avec un traitement continu par Premarin 0,625 mg associé à 2,5 mg de MPA (PremproR). Les résultats montrent une augmentation du risque veineux thromboembolique et une non-protection contre les accidents coronariens.
- L'étude WHI est une grande étude d'intervention en prévention primaire (5,6). Les résultats publiés en 2002 ont porté sur 16 608 femmes en prévention primaire de 50 à 79 ans qui ont pris soit un placebo (n = 8 102), soit le PremproR (n = 8 506). L'étude a été interrompue 5,2 ans après son initiation à cause de l'augmentation des risques liés au traitement. Le traitement (E + P) est associé à une augmentation significative du risque coronarien, d'AVC et de maladie thromboembolique. Cette étude montre aussi une augmentation du risque de cancer du sein, notamment de cancers plus évolutifs. En outre, il a été constaté une diminution significative du risque de fracture et de cancer du côlon. Ainsi, pour dix mille femmes traitées pendant un an, il existe un excès de 7 infarctus du myocarde, 8 AVC, 8 cancers invasifs du sein et 8 embolies pulmonaires. Du côté des avantages, on note, pour le même nombre d'années-femmes : 6 cancers du côlon et 5 fractures du col de moins. D'autres résultats publiés plus tard ont suggéré l'absence d'effets du traitement sur la qualité de vie et le déclin cognitif. Il a été aussi démontré dans cette étude que le risque de cancer du sein revenait au niveau des contrôles un an après son interruption.
Fait capital, le bras estrogène seul (E), récemment publié, montre une absence de risque de cancer du sein possiblement à cause de l'absence de l'effet amplificateur du progestatif. En revanche, l'étude a été interrompue en raison d'un risque accru d'accident vasculaire cérébral (RR : 1,39).
Des limitations à l'interprétation des résultats sont cependant à prendre en considération : la moyenne d'âge est élevée à 63 ans, donc, à plus haut risque d'accident vasculaire ou de cancer du sein ; beaucoup de femmes avaient un surpoids ou une HTA ; surtout, beaucoup de femmes avaient déjà été traitées. Ainsi le risque relatif de cancer du sein ramené à cinq ans de traitement est de 1,09. Enfin, les données cognitives et de qualité de vie sont difficiles à interpréter chez des femmes pauci symptomatiques ou à risque d'AVC en fonction de leur âge.
Les résultats des autres essais.
Malgré ces résultats, deux études, également d'intervention, montrent que, chez des femmes aux artères saines, un effet protecteur vasculaire peut être observé (études Epat et Well-Hart [7,8]). Les estrogènes ont bien un effet de protection contre l'athérosclérose débutante (épaisseur intima-media) chez les femmes aux artères quasi saines, alors que ce traitement n'a pas d'effet sur l'athérome constitué. De plus, cette protection semble pouvoir être obetnue par une statine.
L'étude The Million Women Study (MWS) (9) est une étude considérable, observationnelle, de moindre valeur démonstrative que la WHI. Il s'agit d'une étude portant sur 1 084 110 femmes âgées de 50 à 64 ans. Le risque relatif de cancer du sein lié au traitement est de 1,66 (1,58-1,75) et le risque d'en mourir, de 1,22. Dans cette étude, également, le risque disparaît à l'arrêt du traitement, suggérant une fois plus un rôle promoteur des estrogènes, et non pas un effet inducteur. Il existe aussi une forte différence en fonction de la nature du traitement. Le traitement par estrogène seul (quel qu'il soit et quelle que soit la voie d'administration) est associé avec un risque relatif de 1,30, et la combinaison estrogène et progestatif, à un risque relatif de 2. Il existe ainsi une différence avec la WHI, qui ne montre aucun effet du traitement sur l'incidence du cancer du sein avant cinq ans.
Dans l'étude Esther (10), le risque veineux, longtemps méconnu avec le traitement de la ménopause, est clairement élevé avec la voie orale dans cette observation (RR : 3,5), contre un risque de 0,9 pour la voie transdermique.
L'étude E3C (11) montre l'augmentation du risque de cancer du sein dans une cohorte de 54 548 femmes de 52,8 ans en moyenne traitées pendant en moyenne 2,8 ans avec un RR de 1,2 (IC : 1,1-1,4,). Le RR est de 1,1 chez les femmes traitées par estrogènes seuls, contre 1,3 lorsqu'un progestatif y est associé. La progestérone micronisée semble exposer à un risque plus faible.
Dans une métaanalyse récente (12), le traitement hormonal de la ménopause diminue la mortalité des femmes de moins de 60 ans (OR : 0,61, IC : 0,39-0,95) et n'a aucun effet sur celle des femmes de plus de 60 ans (OR : 1.03, IC : 0,90-1,18).
Les dix recommandations.
1. Le traitement ne peut être proposé qu'aux femmes symptomatiques demandeuses de le prendre, dès l'installation de la ménopause, après les avoir informées et recherché soigneusement les contre-indications d'ordre thromboembolique, mais aussi métabolique, en dépistant soigneusement les facteurs de risque cardio-vasculaire, comme l'HTA, le diabète, une hyperlipidémie, une intoxication tabagique, un surpoids, etc.
2. Ces recommandations ne s'appliquent pas aux femmes ovariectomisées jeunes ou présentant une ménopause précoce, chez qui le traitement de remplacement hormonal est indispensable.
3. Le traitement doit être individualisé et le rapport bénéfice/risque doit être évalué régulièrement chez chaque femme traitée.
4. La durée minimale du traitement est de le proposer tant que perdurent les symptômes du climatère.
5. Le traitement hormonal doit toujours être associé à une hygiène de vie, avec arrêt du tabac, exercice physique, diététique adaptée, et correction du surpoids et de tous les facteurs de risque.
6. La voie trandermique est probablement supérieure en ce qui concerne le risque veineux. Les doses faibles d'estrogènes par voie orale n'ont pas encore été évaluées, il est possible qu'elles soient associées à un risque veineux acceptable (13).
7. Les femmes hystérectomisées ne doivent pas recevoir de traitement progestatif.
8. Chez les femmes non hystérectomisées, un traitement par la progestérone doit être proposé, à dose plus faible, et pendant moins longtemps qu'auparavant. De faibles doses de progestatifs n'ont pas été évaluées, ni d'ailleurs l'administration endo-utérine de progestatif, probablement très intéressante.
9. L'utilisation d'autres molécules, comme la tibolone, très efficace sur les symptômes, est l'objet de grandes études contrôlées en cours.
10. L'ostéopénie est constante chez les femmes ménopausées, les estrogènes diminuent la résorption osseuse et préviennent les fractures. Cependant, l'effet préventif n'existe que chez les femmes traitées sur une longue période, probablement au-delà de 70 ans. De ce fait, à moins d'un traitement prolongé, leur utilité pour prévenir les fractures est très faible.
La poursuite des investigations.
De nouvelles études sont nécessaires. En particulier chez les femmes récemment ménopausées, chez qui il va falloir évaluer la qualité de vie, le risque du traitement par estrogène seul, le rôle des progestatifs sur le sein, l'efficacité cardio-vasculaire comparée du traitement hormonal et des statines, les effets cognitifs du traitement, le rôle éventuel de substitutions androgéniques, qui reste mal évalué, et, enfin, la sensibilité individuelle au traitement grâce à l'étude des polymorphismes des gènes impliqués dans le mécanisme d'action des estrogènes. Une nouvelle étude d'intervention va débuter aux Etats-Unis utilisant un estrogène transdermique ou de faibles doses d'estradiol oral, associés à la progestérone micronisée pendant cinq ans chez 740 femmes récemment ménopausées (étude Keeps). Le sujet principal d'étude est le rapport intima/media.
En conclusion, l'utilisation d'un traitement hormonal est utile chez les femmes symptomatiques, après dépistage des facteurs de risque. Son utilisation en prévention reste discutable et à éviter dans l'état actuel des connaissances. Beaucoup reste encore à faire pour établir le rapport bénéfice/risque du traitement de la ménopause. Les médecins se doivent de rester « on line » pour être informés des progrès récents, et surtout de leurs confirmations.
« Ne sommes savants que de la science actuelle », a dit M. de Montaigne.
* Service d'endocrinologie, hôpital Saint-Antoine,
184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris.
Références
1. Mendelsohn ME, Bkana RH, « N Engl J Med » 340: 1801-1811, 1999.
2. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast Cancer and Hormone Replacement. « Lancet » 1997; 350 :1047-1059.
3. Hers (Heart and Estrogen/Progestin Replacement Study) Herrington DM, Vittinghoff E, Lin F et al, for the Hers Study Group. « Circulation » 2002; 105:2962-2967.
4. Hers II (Heart and Estrogen/Progestin Replacement Study) Grady D, Herrington D, Bittner V et al., for the Hers Research Group. (Hers II). « Jama » 2002; 288:49-57.
5. WHI (Women's Health Initiative) Rossouw E, Anderson GL, Prentice RL et al., Writing Group for the Women's Health Initiative Investigators. « Jama » 2002; 288:321-333
6. The WHI Steereing Committee. The WHI Randomized Controlled Trial.
« Jama » 291: 1701-1712, 2004.
7. Hodis HN, Mack WJ, Lobo RA, Shoupe D, Sevanian A, Mahrer PR, Selzer RH, Liu Cr CR, Liu Ch CH, Azen SP
« Ann intern med » 2001 Dec 4;135(11):939-53.
8. Hodis HN, Mack WJ, Azen SP, Lobo RA, Shoupe D, Mahrer PR, Faxon DP, Cashin-Hemphill L, Sanmarco ME, French WJ, Shook TL, Gaarder TD, Mehra AO, Rabbani R, Sevanian A, Shil AB, Torres M, Vogelbach KH, Selzer RH; Women's Estrogen-Progestin Lipid-Lowering Hormone Atherosclerosis Regression Trial Research Group.
« N Engl J Med » 2003 Aug 7; 349(6):535-45.
9. Beral V and the Million Women Study Collaborators. « Lancet » 362:419-427.
10. Scarabin PY, Oger E, Plu-Bureau G, on Behalf of the Estrogen and Thrombo Embolism Risk (Esther) Study Group. « Lancet » 2003 362: 428-432.
11. Fournier A, Berrino F, Riboli E, Avenel V, Clavel- Chapelon F
« Int J Cancer in Press » 2004.
12. Salpeter SR, Walsh JME, Greyber E, Ormiston TM, Salpeter EE
« J Gen Intern Med » 19: 791- 804, 2004.
13. Smith NL, Heckbert SR, Lemaître RN, Reiner AP, Lumley T, Weiss NS, Larson EB, Rosendaal FR, Psaty BM
« Jama » 292: 1581-1587, 2004.
Résultats cliniques des grandes études |
||||
---|---|---|---|---|
WHI E+P |
E | HERS | Observation | |
Cancer du sein | 1.26 | 0.77 | 1.30 | 1.15-1.53 |
Cancer du côlon | 0.63 | 1.08 | 0.66 | |
Fracture du col | 0.66 | 0.61 | 1.10 | 0.75 |
AVC | 1.41 | 1.39 | 1.2 | 1.45 |
E. pulmonaire | 2.13 | 1.34 | 2.8 | 2.1 |
Accid. cardio. vasc | 1.29 | 0.91 | .099 | .061 |
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature