L E tribunal écossais, qui s'est réuni pendant de longs mois à Camp Zeist, dans les Pays-Bas, pour juger deux hommes impliqués dans l'attentat de Lockerbie, a condamné à vie l'un des deux accusés et acquitté l'autre, contre lequel les charges étaient insuffisantes.
L'attentat à la bombe avait fait exploser en vol un Boeing de la Pan Am, causant la mort de 270 personnes. L'attentat a eu lieu en décembre 1988. Il aura donc fallu douze ans pour convaincre le gouvernement libyen, que l'on soupçonne toujours d'avoir ordonné l'attentat, que les exécutants devaient être jugés par des magistrats écossais. Exigeant un territoire neutre, le colonel Kadhafi a obtenu que le procès se déroule aux Pays-Bas.
Les familles des 270 victimes ne sont pas indignées, semble-t-il, par l'acquittement de l'un des accusés. Elles se satisfont de la condamnation de l'autre. Elles ont raison de voir dans le jugement l'application d'une justice exercée sur la base des preuves, dans un cadre démocratique, et dans une affaire exceptionnelle relevant du terrorisme pur où le droit des gens a été bafoué. L'instruction a été extrêmement longue, le procès aussi. La justice est lente mais elle finit par rattraper les coupables. C'est une leçon que les pays victimes de l'attentat viennent de donner à un régime totalitaire et imprévisible, disposé à commettre des crimes atroces pour « punir » des Etats avec lesquels il est en désaccord.
Malheureusement, le bras de la justice n'est pas assez long pour se saisir du vrai coupable, celui qui a ordonné cet attentat (et un autre commis contre un avion d'UTA). La Libye a accepté le verdict sans hésiter, pour en faire aussitôt une interprétation subjective : elle réclame la levée des sanctions économiques auxquelles elle est soumise et des indemnités pour les pertes de revenus occasionnées par ces sanctions. Cette arrogance et cette logique de l'absurde sont conformes à l'état mental du colonel Kadhafi, à qui on est tenté de répondre qu'il lui est trop facile de se défausser sur ses sicaires et qu'il est probablement l'organisateur de l'attentat. Ce qui revient à atténuer l'importance du jugement de Camp Zeist, le procès n'ayant mis en lumière que la partie émergée de l'iceberg.
Il ne serait pas raisonnable d'imaginer une poursuite de l'enquête qui conduirait au deus ex machina. M. Kadhafi a le temps de mourir de vieillesse avant que la justice, écossaise ou internationale, puisse s'emparer de lui. D'autant qu'on ne travaille pas, en l'occurrence, dans le seul domaine du droit et que les intérêts politiques et économiques compliquent les démarches des magistrats, qui ne souhaitent pas sortir du cadre exclusivement juridique.
C'est important et utile d'avoir condamné l'un des auteurs de l'attentat. Mais la justice, aussi indépendante qu'elle soit, ne peut pas s'affranchir, dans cette affaire, des influences pétrolières ou géopolitiques. Pour qu'elle condamne un jour le principal coupable, il faudrait qu'elle écarte la raison d'Etat.
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