LE PRECURSEUR de l'utilisation médicale des différentes données de l'écriture fut le Dr Marcé, de l'hôpital de Bicêtre. En 1860, il publie une monographie intitulée « De la valeur des écrits des aliénés au point de vue de la sémiologie et de la médecine légale ».
Avec les progrès des moyens diagnostiques, les médecins se sont progressivement moins intéressés aux déformations spécifiques de l'écriture entraînées par des états pathologiques. Mais pendant longtemps, explique Alain Buquet, expert en écritures agréé par la Cour de cassation et auteur d'un « Précis de pathologie graphique » (Expansion scientifique publications, 1999), on a fait écrire le malade admis à l'hôpital.
Les études de la physiologie de l'écriture ont commencé dans les années 1930, sous la direction d'un neurologue belge (H. Callewaert). L'écriture est une action à la fois motrice et intellectuelle. Il n'existe pas, comme pour le langage, une aire cérébrale de l'écriture ; mais l'IRM a permis de visualiser des centres cérébraux qui régissent les mouvements de l'écriture et de la latéralisation. La latéralité manuelle ou « manualité » (d'après l'anglais « handedness ») est déterminée au moment de l'apprentissage du langage. C'est pourquoi il n'est plus conseillé d'obliger les gauchers à écrire de la main droite, sachant que l'on risque de contrarier aussi les aires sensorimotrices et d'entraîner des dyslexies.
Graphodiagnostic.
Si les médecins ne s'y intéressent désormais que marginalement, les experts auprès des tribunaux se sont chargés de développer la discipline. On a défini les critères du graphodiagnostic. Les observations doivent porter sur les aspects moteurs de l'écriture, mais aussi sur le contenu (organisation du discours), auxquels s'ajoute une étude technique du trait, qui permet de repérer les déformations et de procéder à des mesures à l'aide d'un matériel approprié : typomètre, loupe, palpeur de rugosité de surface, rapporteur électronique, voire microscope.
Le tremblement est l'une des causes les plus fréquentes de déformation de l'écriture. L'expert averti peut repérer facilement le tremblement simulé (par exemple d'un faux testament...) : « Le forgeur tremble plus au commencement qu'à la fin des mots, à l'inverse des tremblements pathologiques qui s'accroissent avec l'avancement de l'écrit. »
Certaines anomalies graphiques caractéristiques sont connues. Comme la micrographie associée au tremblement du Parkinson. D'autres déformations de l'écriture dans cette maladie sont moins connues alors qu'elles permettent d'orienter le diagnostic dès le début de la maladie. « L'écriture est micrographique, décrit A. Buquet, caractérisée par un tremblement horizontal en hachure, respectant la forme de la lettre, avec une réduction des diamètres (lettres à ove) , traits informes jetés en tous sens, mêlés de taches et de stases d'encre (l'acte d'écrire est difficile). » A l'inverse, la maladie de Parkinson postencéphalique, telle qu'elle a été observée après la grippe espagnole de 1918-1919, ne donne pas de micrographie.
La maladie d'Alzheimer entraîne des déformations à type d'écriture en vague, en sinusoïde ; la personne ne tient pas la ligne. Plus la maladie est avancée, plus les vagues sont marquées, jusqu'au moment où le sujet ne peut plus écrire.
Beaucoup d'affections organiques sont repérables dans l'écriture. On peut citer l'exemple de la sclérose en plaques (ataxie, blocages du trait, tremblement intentionnel...) ou de la dépression (direction descendante des lignes, pression légère, espaces irréguliers, chute molle des finales...).
La schizophrénie s'assortit de signes graphiques distincts selon les formes : la forme hébéphrénique avec « des tracés couvrants, crochets, retouches, irrégularités, discordance, variation du calibre et du rythme » ; la forme catatonique avec « le trait léger et dévitalisé, les formes sont banales et parfois simplifiées, le mouvement est rapide, parfois haché, les coupures reprises et retouches sont fréquentes ».
La « crampe de l'écrivain » est en fait une dystonie, qui oblige parfois le scripteur à renoncer à écrire, et il finit par écrire de l'autre main.
Les intoxications d'origines variées agissent sur le système nerveux et modifient aussi l'écriture. L'intoxication caféique fait entraîner « de légères torsions et un tremblement fin ». L'intoxication tabagique est associée à un tracé « inhibé, saccadé et très légèrement tremblé ».
« Pour la détermination de l'alcoolémie, explique encore A. Buquet, l'écriture est plus précise que l'éthylomètre. Au-delà de 1,50 g/l, on ne peut plus écrire correctement . » L'ivresse alcoolique est marquée par des mouvements ataxiques et une augmentation du calibre de l'écriture. Chez l'alcoolique chronique, le tremblement transmis à l'écriture est fin, rapide, longitudinal et à oscillations moyennes d'une fréquence de 6 à 8 par seconde. L'atteinte extrapyramidale des traitements aux neuroleptiques entraîne une micrographie.
Signalons, avec A. Buquet, la graphothérapie, ou rééducation des dysgraphies, qui repose sur trois principes : la discipline du geste, la correction motrice éducative et l'autosuggestion du contenu que l'on désire développer chez le patient en rééducation. Il est possible d'aider par exemple les parkinsoniens de cette manière.
Rédigé avec l'aide d'Alain Buquet et en s'appuyant sur son ouvrage : « Précis de pathologie graphique », Expansion Scientifique Publications, 1999.
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