Par le Pr Bertrand Millat*
L’ÉQUIPE est le regroupement de personnes qui, par la dépendance réciproque de leurs tâches, se trouvent partager la responsabilité du résultat. L’équipe s’impose comme la coopération de compétences individuelles nécessaire à l’émergence d’une compétence collective. Pour cela, ses membres doivent :
- vouloir coopérer : partager leurs objectifs, valeurs, enjeux.
- pouvoir coopérer : accepter les méthodes et règles définies de fonctionnement, les outils de planification, de sécurisation (check-lists), maîtriser les systèmes d’information et de formation, la logistique, ...
- savoir coopérer : par une formation adaptée au travail collectif, par le décloisonnement entre métiers, par le respect de l’autre, par l’aptitude à communiquer, à savoir gérer les conflits.
- apprendre et analyser collectivement : analyse systémique des événements indésirables, culture non pénalisante de l’erreur, retour sur expérience, revues de morbi-mortalité, formations pluriprofessionnelles.
Le travail en équipe est une exigence face à l’hyperspécialisation qui a segmenté les connaissances et savoir-faire techniques dans les différents domaines individualisables des besoins de santé. Démontrée à deux reprises par des enquêtes nationales, la fréquence des événements indésirables liés aux soins qui seraient évitables est alarmante, en particulier en ce qui concerne les actes invasifs. De nombreux programmes et démarches tentent de remédier à cette situation. Un des axes d’amélioration est de prendre conscience que le modèle du professionnalisme individualiste qui nourrit encore certaines nostalgies doit laisser place au travail en équipe.
Bonheurs et malheurs de la check-list.
La check-list (CL) « Sécurité du patient au bloc opératoire » vérifie, avant toute intervention et en équipe, un certain nombre de critères qui ont été jugés essentiels pour le bon déroulement de l’opération. Au-delà de la vérification des critères, le but recherché est d’améliorer, de provoquer les échanges d’informations. L’efficacité de la CL pour diminuer le taux des complications postopératoires est aujourd’hui incontestée, pourtant, elle n’est que peu ou pas utilisée dans le respect de son « esprit » par les professionnels. La mauvaise utilisation de la CL est en soi un facteur de risque car elle peut remettre en cause la confiance qu’y auraient mise les partenaires de l’équipe. La Haute Autorité de santé a pris en compte les spécificités des pratiques et les freins identifiés et se propose d’adapter la CL pour en faciliter l’adoption. Ces efforts sont louables, mais est-ce le bon objectif ? Ne faut-il pas plutôt se poser lucidement la question de la psycho-sociologie qu’elle suppose au lieu de n’en regarder que la fonctionnalité ? Le bloc opératoire est le lieu de convergence, en ordre souvent dispersé, de professionnels culturellement, voire sociologiquement différents, qui n’ont jamais reçu la moindre formation collective, notamment dans le domaine de la sécurité, et qui sont supposés « faire équipe » au nom de l’événement opératoire qui doit avoir lieu et qui les rassemble. Comment s’étonner dans ces conditions que la vérification collective, verbalisée, que suppose la CL, se heurte de plein fouet aux revendications hiérarchiques statutaires ou aux cultures spécifiques à chacun des métiers en présence, médicaux et soignants ? Il y a tout lieu de penser que l’utilisation de la CL en particulier et plus généralement que le respect des exigences de la sécurité viendront non pas de je ne sais quelle adaptation des outils ou optimisation des indicateurs, mais bien d’un travail de fond qui s’attaquera au concept d’équipe opératoire, au rôle de l’équipe (et non de l’individu) dans la qualité et la sécurité, à la place de chacun au sein de l’équipe dans le respect de l’autre et à la façon dont il y communique. Être un « acteur équivalent » de la sécurité au sein d’une équipe opératoire demande de la part des professionnels un saut culturel qui n’a pas encore été fait. Les professionnels ne sont peut-être pas les seuls : l’accréditation des professionnels qui exercent une activité à risque, tout comme le développement professionnel continu (DPC) qui n’a toujours pas vu le jour sont réputés être des démarches individuelles. Commençons par apprendre aux soignants et aux médecins à « faire équipe » et à se former ensemble pour travailler ensemble.
* CHU de Montpellier.
Lien d’intérêt : aucun
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature