Les hommes du président

Publié le 23/01/2001
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G EORGE W. BUSH n'a pas attendu la fin des festivités de son « inaugural » pour se mettre au travail. Premier dossier : l'éducation, celui qu'il connaît le mieux et où il a fait merveille au Texas.

Le nouveau président des Etats-Unis combat avec acharnement l'image qu'on dessine de lui et qui le présente comme un homme inculte et peu préparé à ses immenses fonctions. Pour cette « reconstruction » de sa personnalité, il a trouvé des gens, dans la presse et dans la classe politique, aux Etats-Unis et à l'étranger, qui récusent le portrait défavorable que l'opposition démocrate a dressé.
M. Bush, il est vrai, ne mérite ni cet excès d'indignité, ni trop de louanges. Il faut le juger sur ses actes et il n'est pas dit qu'il conduira l'Amérique à des impasses ou à des échecs. Il a constitué très rapidement une équipe dont le dénominateur commun est la loyauté ; à la vice-présidence, au Département d'Etat, à la Sécurité nationale, à la Défense, il a nommé des hommes ou des femmes qui ont déjà exercé des fonctions semblables ou identiques et dont la compétence n'est pas contestable. M. Bush, même si sa voix a été parfois étouffée par celle de l'ex-président Clinton, qui n'a jamais été aussi disert à mesure que l'heure de son départ s'approchait, a en outre fait un bon discours après avoir prêté serment : il a répondu à l'avance aux manifestants qui voulaient ternir son investiture, qu'il serait le président de tous les Américains et qu'il ferait en sorte de les réconcilier.

On demande des preuves

Mais, d'une part, ce ne sera pas une tâche facile et, d'autre part, il serait préférable qu'il donne des gages de sa bonne volonté.
Ce ne sera pas une tâche facile parce que l'élection présidentielle a montré, de façon saisissante, des Etats-Unis coupés en deux parties égales : il y a désormais, et la carte électorale le prouve, une Amérique des villes qui est démocrate et une Amérique des champs qui est républicaine ; une Amérique côtière qui a voté Gore et une Amérique continentale qui a voté Bush ; une Amérique hostile à l'avortement, au contrôle des armes, aux minorités, à l'abolition de la peine de mort, qui couvre les trois quarts du territoire à faible densité démographique ; et une Amérique pour l'environnement, contre le big business, pour un système social généreux, qui recouvre l'autre quart, à très forte densité.
Ces deux Amériques sont très éloignées l'une de l'autre. Elles n'ont rien en commun ni socialement, ni culturellement ni même économiquement. Un peuple de chasseurs et d'agriculteurs, parfois pieux jusqu'à la bigoterie, est cantonné dans des villages tranquilles, mène une existence lente, gagne peu, dépense peu et se moque de la politique et des politiciens.
Un autre peuple, souvent composé de jeunes gens de moins de 35 ans, réclame toutes les libertés de la société contemporaine, fait fortune dans les progrès de la technologie, invente, innove, et vote démocrate.
Les premiers croient que le gouvernement fédéral les dépossède de leurs droits et de l'argent qu'ils ont péniblement gagné. Les seconds croient au libéralisme sous toutes ses formes et à la puissance redistributrice d'un Etat centralisé.

Des choix surprenants

Pour un certain nombre de ministères importants, les Affaires sociales, l'Intérieur (donc l'Environnement), la Justice, M. Bush a choisi des hommes ou des femmes qui représentent l'Amérique des Etats, celle du Collège électoral. A la Justice, John Ashcroft, ancien gouverneur du Wisconsin qui a perdu son ancien poste pour se retrouver au gouvernement, n'a jamais caché des idées qu'on peut, sans exagérer, qualifier d'ultra-conservatrices. Face à la commission sénatoriale chargée d'entériner (ou non) sa nomination, il a juré que, en tant qu' attorney general, il appliquerait les lois en vigueur. Mais les lois qu'a faites le Congrès, le Congrès peut les défaire. S'il n'y a pas de raison de douter de sa sincérité, on peut se demander pourquoi le président Bush, élu au terme d'une très longue procédure et conscient de la coupure américaine, a nommé un personnage aussi controversé.
De la même manière, on peut s'interroger sur la nomination de Gale Norton au ministère de l'Intérieur. Dans un discours qu'elle a prononcé devant la Bob Jones University, une université qui n'accepte ni les Noirs ni les juifs, Mme Norton a justifié la guerre de Sécession par le désir des Etats du Sud d'affirmer leurs droits face au gouvernement fédéral, oubliant du même coup que c'est l'esclavagisme qui a conduit à cette guerre particulièrement sanglante. Quelqu'un a retrouvé le texte du discours et l'a diffusé sur Internet. M. Bush serait bien avisé, s'il veut que fonctionne son conservatisme compassionnel, de choisir une autre personnalité.
Il répète que ce qui compte, c'est moins ce que pensent ses ministres que leur loyauté à son égard, que c'est lui, Bush, qui décidera, et non les gens qui l'entourent. Mais il y avait peut-être parmi les républicains des personnages moins exposés à la polémique.
En France, des journalistes et des hommes politiques, comme Pierre Lellouche, ont décidé de défendre George W. Bush et sa réputation. Contrairement à ce qu'ils affirment, il est rare qu'on ait présenté le nouveau président américain comme un demeuré. On a seulement douté, comme aux Etats-Unis, de sa capacité à rassembler le peuple américain, de son expérience et de sa maîtrise des dossiers. Ce n'est pas une injure. Bill Clinton, arrivé en 1992 au pouvoir, a été raillé par les républicains qui ont vite fait de lui dire que l'Amérique ne se gère pas comme l'Arkansas. On peut donc répondre : et pas comme le Texas.

L'unité du parti

M. Bush a le temps, c'est-à-dire que, à nos yeux, il peut encore faire le pire et le meilleur. Il peut faire des compromis entre la réduction de la dette nationale et la réduction des impôts ; il peut, comme Richard Nixon, un autre républicain qui n'avait pas une excellente réputation, lancer des programmes sociaux et préférer, en politique extérieure, le pragmatisme à l'idéologie. Il y a aura quand même, dans son propre camp, des gens pour lui demander : « Qui t'a fait roi ? ». La présidence Bush, c'est le produit d'une formidable opération lancée par les caciques républicains, avec l'aide de George Bush père, qui attendait sa revanche par procuration, pour faire l'unité du parti autour d'un nom célèbre. Du parti, pas du peuple. Or, parmi les républicains, il y a de tout : il y a des modérés, il y a des réformateurs, comme John McCain, l'homme qui a failli faire échouer le projet Bush ; et il y a la coalition chrétienne, la National Rifle Association, l'industrie pétrolière (qui va sans doute obtenir qu'on perce des gisements dans le Nord de l'Alaska, pourtant classé région intouchable), des mouvements antiavortement, des racistes invétérés, une foule de personnes qui hissent encore le drapeau sudiste, haïssent les lois fédérales, sont armés jusqu'aux dents et qui, quelquefois, se mettent hors la loi.
M. Bush a reçu le soutien de tous ces groupes sans exception et il a réuni presque la moitié des voix populaires. Ceux qui nous disent que M. Bush sera un bon président sont aussi ceux qui disaient naguère qu'il n'y avait aucune différence entre Bush et Gore.
Or il y en a une, et elle est énorme. Et pour la comprendre, il suffit de raisonner en tant que Français : combien de voix recueillerait en France un homme qui non seulement approuverait la peine de mort mais l'aurait appliquée plus de 250 fois, qui prendrait un ministre de la Santé ouvertement hostile à l'IVG, qui imposerait la prière dans les écoles laïques, qui libéraliserait le commerce des armes dans notre pays déjà livré aux assassins de convoyeurs de fonds et aux fous comme Foulcher ? Combien ?
M. Bush apporte à Washington quelque chose d'obscurantiste qui n'existait ni chez Bill Clinton, ni chez ses prédécesseurs républicains, son propre père ou même Ronald Reagan. A lui, aujourd'hui, de se défaire de telles influences. Avec le choix de John Ashcroft et Gale Norton, il n'en prend pas le chemin.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6841