Réfléchir aux causes curables

Les nuits agitées des patients atteints de maladie d’Alzheimer

Publié le 13/10/2010
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En institution

En institution, ces patients posent également aussi des problèmes et il n’est pas rare de voir des sujets recevant des somnifères puissants pour la simple raison qu’ils sont « décalés » dans leurs horaires et réveillent les sujets des chambres voisines.

Quelle explication ?

La durée de sommeil peut être en fait « normale » ; un sujet qui se couche tôt, se réveille tôt ! Quatre heures de sommeil nocturne et une à deux heures de « sieste » sont « physiologiques » chez un patient âgé. Cette fragmentation du sommeil est socialement difficile à gérer. De plus, livré à lui-même dans la maison, le sujet atteint d’Alzheimer est susceptible de faire des bêtises. Le dilemme est le suivant : faut-il aller contre la nature, en lui administrant des somnifères pour sauver les nuits de l’aidant (en fait sauver l’aidant) ou laisser faire ?

La ou les causes favorisant ces troubles du sommeil peuvent aussi être environnementales :

- problème de température : chaleur ou fraîcheur…,

- nuisances sonores : ronflements du voisin, bruits de la rue ou de la maison (couloir, chambre du dessus, robinet qui coule… Il faut tout guetter, télévision etc.,

- problème de lumière : trop de luminosité ou au contraire obscurité excessive (faire l’essai d’une veilleuse)

Enfin certaines « maladies » interférentes surviennent préférentiellement la nuit. Les causes évidentes sont respiratoires :

- crise d’asthme dont le diagnostic est évident.

- apnées du sommeil, souvent associées à des ronflements, suspectées par une famille inquiète à l’écoute des ces arrêts du rythme respiratoire, difficiles à traiter (pression positive permanente mal acceptée par le malade ; chirurgie de la luette et du voile du palais problématique chez ces patients).

Les traitements anticholinestérasiques de la maladie d’Alzheimer augmentent les sécrétions bronchiques et favorisent l’encombrement bronchique qui reste néanmoins rare.

Les causes « cachées »

Les douleurs rhumatismales sont classiques au petit matin. Le syndrome du canal carpien s’exprime la nuit. Les sujets âgés y sont plus exposés. Les douleurs de la main réveillent le patient qui ne va pas forcément verbaliser le fait douloureux. L’amyotrophie des éminences thénar est un signe d’orientation mais manque souvent et peut être masquée par une rhizarthrose du pouce. On peut se demander s’il ne faudrait pas faire un EMG (électroneuromyogramme) aux patients chez qui on ne trouve pas d’autre cause d’éveil nocturne. Le traitement, simple, est réalisable chez presque tous les patients : infiltration locale de corticoïdes ou chirurgie ambulatoire si possible sous anesthésie locorégionale.

Les manifestations cardiologiques : insuffisances cardiaques, poussées d’hypertension artérielle, angine de poitrine, peuvent prédominer la nuit.

Le syndrome des jambes sans repos : le patient sait rarement exprimer précisément ce qu’il ressent, se plaindre d’impatiences des membres inférieurs apparaissant dès qu’il est couché, gênantes au point de l’obliger à se relever. Le traitement, par dopaminergiques, augmente le risque d’hallucinations et de confusions. On peut le tester et le stopper à la moindre intolérance.

L’adénome de la prostate provoque des levers nocturnes pour uriner ; le patient n’étant pas conscient, dans sa confusion, qu’il a une couche protectrice.

Les ulcères gastriques sont particulièrement symptomatiques la nuit ; le diagnostic d’une cause fréquente d’ulcère, l’infection par Helicobacter pylori est simple, son traitement aussi.

Il en va de même pour le reflux gastro-œsophagien dont 70 % des plus de soixante-dix ans seraient atteints. Il survient en décubitus.

Les causes « iatrogènes » : le traitement par donépézil peut générer de rares insomnies qui doivent conduire à avancer la prise au repas du soir. Certains antidépresseurs sont trop « stimulants », d’autres peuvent être insomniants.

Comment améliorer ces mauvaises nuits ?

Il faut différentier les troubles épisodiques des troubles continus, les éveils précoces des inversions nuit/jour. L’identification d’une cause à ces nuits agitées doit être suivie de sa correction. Une simple suspicion peut conduire à la mise en place d’un traitement d’épreuve, sous réserve que le médicament soit peu générateur d’effets secondaires. Ainsi, un anti-acide dans l’hypothèse d’un ulcère, un antalgique « banal » type paracétamol si on suspecte des douleurs (rhumatisme du sujet âgé) en sachant que la démence nous prive du témoignage du patient, et que le pragmatisme doit l’emporter sur le principe de la preuve, avec deux objectifs, soulager le malade et sauver le « soldat aidant ». Si le traitement d’épreuve ne provoque pas d’amélioration en quelques jours, il faut l’interrompre aussitôt.

Il n’y a pas de recette pour le traitement du symptôme « insomnie », on tente un traitement sur-mesure pour chaque patient.

Les molécules appartiennent aux familles des benzodiazépines, imidazopyridines, certains antidépresseurs inhibiteurs de recapture de la sérotonine à profil sédatif comme la mirtazapine, le méprobamate. Les neuroleptiques sont interdits du fait du risque accru d’AVC sauf pour de très brèves durées et en dernier recours. Surtout, on informe l’entourage des limites et des effets secondaires, des buts visés (un pourcentage suffisant de bonnes nuits), les invitant à ne pas exiger de succès rapide, à accepter les multiples essais, les ajustements : certains médicaments mettent plusieurs jours avant d’agir, le traitement, quand il est efficace, ne l’est pas systématiquement, et ses effets peuvent s’épuiser au bout d’un délai variable.

Le médecin tâtonne mais il sait que le manque de sommeil est intolérable pour l’aidant et il doit le dire. C’est un esprit de collaboration éclairée qu’il faut établir avec l’aidant. Idéalement, il faudrait établir des « tours de garde » avec les proches ou des aidants professionnels, pour soulager l’aidant principal.

Enfin, le traitement « comportemental », le travail sur la manière de se comporter calmement avec le patient reste de mise. Assister ces malades est usant quand les périodes de récupération sont réduites à néant. L’épuisement des aidants, en partie lié aux mauvaises nuits, est une des premières causes de maltraitance et de placement en institution.

Pas de conflit d’intérêt déclaré

Bibliographie :

Jean -Pierre Polydor

Alzheimer, mode d’emploi.

Editions L’Esprit du temps .

Dr JEAN-PIERRE POLYDOR Centre neurologique les Anémones Cannes

Source : Le Quotidien du Médecin: 8835