P OURQUOI l'euthanasie est-elle devenue aujourd'hui une question sociale aussi médiatisée ? C'est à cette question que la sociologue Anita Hocquard (université Paris-I) a voulu répondre en entreprenant une enquête, en mars 1992, auprès des adhérents de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (AMD)*.
La sociologue explique qu'elle a choisi cette association « parce que c'est là que se concentrent le plus grand nombre de partisans de l'euthanasie volontaire ».
Tout d'abord, il n'y a rien d'étonnant à découvrir que la moyenne d'âge des adhérents, autour de 66 ans, est plus élevée que celle de la population nationale (46,8). Proportionnellement, ce sont les hommes qui prédominent. Vivant le plus souvent seuls, les adhérents (5 000 ont répondu au questionnaire sur 24 255 personnes) sont plus actifs que dans le reste de la population.
Les catégories sociales supérieures ou professions intermédiaires sont beaucoup plus représentées que les agriculteurs et les ouvriers. Confrontés dans leur pratique à l'euthanasie, les professions de santé sont en revanche surreprésentées. « Ce profil sociologique ne ressemble en rien à celui des suicidants, relève la sociologue. En dehors de l'âge et d'une certaine sous-nuptialité, tout, ou presque, sépare nos deux populations », ajoute-t-elle, en précisant que les partisans de l'euthanasie volontaire sont bien insérés dans la société. Sur le plan religieux, on note le taux relativement faible de catholiques, même s'il existe un « noyau dur de pratiquants réguliers », tandis que les protestants se font bien plus nombreux. Les adhérents sont, pour la plupart, attachés aux valeurs politiques du centre-gauche ou de celles des Verts.
La crainte de la dégradation
De manière générale, ils estiment que seul l'individu doit juger de la légitimité de la demande, une forte minorité allant jusqu'à revendiquer l'euthanasie comme un droit fondamental de l'homme. Pour beaucoup, l'idéal serait de se tuer soi-même. Mais à défaut, l'immense majorité des répondants fait appel au médecin. Selon la sociologue, l'évocation du recours à l'euthanasie correspond plus à la crainte de la dégradation qu'à celle de souffrir. « Il ne fait pas de doute que nous assistons aujourd'hui à une redéfinition des normes sociales. La figure de l'individu souverain y apparaît dominante, fait-elle remarquer. Si l'euthanasie volontaire est devenue aujourd'hui un projet socialement acceptable, c'est parce qu'elle est congruente avec cette nouvelle figure sociale de l'individu », conclut-elle.
* La lettre de la SFAP (Société française d'accompagnement et de soins palliatifs). Tél : 01.45.75.43.86.
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