L ES gouvernements occidentaux ont accueilli avec prudence la victoire écrasante d'Ariel Sharon : ils se refusent à le vilipender avant qu'il n'ait annoncé son programme. Même le président égyptien, Hosni Moubarak, même Yasser Arafat, ont accepté le verdict des urnes et exprimé le souhait que les négociations continuent.
La presse, d'ici et d'ailleurs, qui n'a pas de responsabilités, insiste en revanche sur le passé belliciste de M. Sharon et le présente comme l'homme qui fait peur au monde. C'est lui accorder plus de poids qu'il n'en a. Il a certes obtenu une majorité énorme (62,5 %), sans précédent dans l'histoire électorale d'Israël. Mais ce pourcentage résulte de l'abstention d'une partie de l'électorat travailliste, qui ne voulait pas de M. Sharon, mais pas davantage d'Ehud Barak, qui a eu le bon goût de quitter ses fonctions politiques, et de l'abstention des Arabes israéliens. En temps normal, le candidat de la gauche israélienne aurait bénéficié d'une bonne vingtaine de points supplémentaires.
Ariel Sharon souhaitait, avant sa victoire, former un gouvernement d'union nationale. C'est le retour du balancier. M. Barak lui avait présenté un projet identique avant les élections, mais M. Sharon refusait d'avaliser les concessions offertes aux Palestiniens. Le jeu est aujourd'hui symétrique : les travaillistes et le Meretz (gauche) ne s'associeraient à un tel gouvernement que si les discussions avec les Palestiniens reprenaient au point exact où elles ont été suspendues à Taba. Dès lors que le nouveau Premier ministre israélien récuse les avancées déjà obtenues, il est contraint de former le gouvernement adapté à la politique qu'il préconise et doit s'allier à l'extrême droite, ultras et religieux.
Un tel gouvernement n'a aucune chance de durer. D'abord pour des raisons liées à la politique intérieure israélienne : M. Sharon a été plébiscité, mais il n'a pas de majorité parlementaire. Qu'il s'agisse de la paix ou du financement des écoles religieuses, il sera rapidement mis en minorité, occasion que ne manqueront pas de saisir les partisans de la paix pour tenter, par exemple à la faveur de législatives anticipées, de l'évincer du pouvoir.
Les grands perdants
Ensuite, pour des raisons diplomatiques : les relations entre les Etats-Unis de George W. Bush et M. Sharon vont rapidement se détériorer. La nouvelle administration américaine est en mesure, par conviction et par intérêt, d'exercer de très fortes pressions sur le gouvernement israélien.
Les Israéliens n'ont rien à gagner à se réfugier derrière l'homme qui leur a fallacieusement promis la sécurité. Mais les grands perdants du scrutin sont les Palestiniens, qui ne peuvent espérer que les négociations reprennent avant plusieurs mois. Ils combleront probablement ce temps mort par une recrudescence de violence, accompagnée des menaces habituelles, déjà proférées, par l'Irak, l'Iran et la Syrie.
Ce comportement, pour être prévisible, n'en est pas moins lassant. Car c'est l' intifada qui a porté Sharon au pouvoir. Après cinq mois de violence et 400 morts, M. Arafat a cru bon de parler de la paix des braves, en pleine guerre des surexcités, alors que les mouvements extrémistes palestiniens qui sont, tout compte fait, les meilleurs compagnons de route de M. Sharon, prononçaient leurs anathèmes traditionnels, l'un d'eux s'étonnant même de ce que les électeurs israéliens soient devenus fous.
Fous, vraiment ? Les spécialistes de l'attentat et les intoxiqués du crime ne se feront jamais à l'idée que, dans une démocratie, le peuple est souverain. Si les Occidentaux évitent d'accabler M. Sharon, c'est bien parce qu'ils réalisent enfin que les Israéliens sont traumatisés par la violence et par la haine et que, si leurs chancelleries avaient réparti équitablement leurs critiques entre les deux parties, on n'en serait peut-être pas là.
Tout le monde a participé à la victoire de Sharon : les poseurs de bombes et les lanceurs de pierres, les opinions publiques fascinées par l'image et incapables de comprendre les ressorts du conflit, une presse mondiale qui continue d'exiger d'Israël qu'il reçoive des coups sans réagir.
La paix qui fait peur
Incapable d'assumer les responsabilités qu'entraîne un accord de paix, Yasser Arafat a choisi l' intifada, mais aussi la guerre de communication, où il fait merveille et qui continue d'ailleurs, puisqu'il est de bon ton, dans la presse arabe déchaînée, de justifier à l'avance les violences à venir par la nature même de Sharon, « monstre, boucher, assassin, criminel. Vous voyez bien qu'on ne peut pas traiter avec des gens pareils ». L'abominable Sharon, ils ont tout fait pour le sortir de son ranch du Neguev et l'installer à Jérusalem. Ils l'ont voulu, ils l'ont. Est-ce excessif de demander au monde arabe un minimum de rationalisme ? On peut toujours en vouloir aux Israéliens d'avoir fait un choix dangereux. Mais on doit aussi se demander ce qu'il y a dans la paix qui terrorise un si grand nombre. Pour les regrets, c'est trop tard. Pour que le peuple israélien revienne à de meilleurs sentiments, il faudra le rassurer
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