L A question est la suivante : la guérilla à laquelle le président de la République se livre, depuis plusieurs mois, contre l'action du gouvernement, fait-elle progresser le traitement des grands dossiers (appelons-les les réformes) ou, au contraire, ne traduit-elle qu'une tactique électorale ?
Sur l'affaire de la vache folle, à la fin de l'an dernier, le chef de l'Etat a effectivement contraint le Premier ministre à rejoindre ses positions et à préconiser le principe de « précaution extrême » alors même que M. Jospin souhaitait prendre son temps et, surtout, ne pas affoler la population.
Il y avait, sans nul doute, un brin de démagogie dans l'attitude de Jacques Chirac ; mais enfin ses prises de position ont obtenu un tel succès que, en définitive, c'est à l'Europe des Quinze qu'ont été étendues les mesures qu'il réclamait pour la France. Bien qu'on puisse douter du bien-fondé de ces mesures dont le coût, de l'aveu même des instances européennes, est catastrophique à l'échelle continentale, le président peut se targuer aujourd'hui d'avoir pesé sur la politique du gouvernement, alors que la cohabitation est décrite par les plus puristes des constitutionnalistes comme une sérieuse perversion des institutions.
M. Chirac a démontré, à l'occasion de la crise alimentaire, que sa fonction, loin d'être neutre ou inexistante dans les affaires de politique intérieure, s'inscrit, en quelque sorte, dans la dialectique historique. Et même si la méthode, aux yeux des scientifiques ou des ministres effrayés par l'excessive panique populaire, laisse à désirer, elle semble très efficace politiquement, ne serait-ce que parce qu'elle fait du président de la cohabitation un acteur essentiel de la vie politique et permet en l'occurrence au chef de l'Etat de continuer à nourrir des espoirs raisonnables quant à la présidentielle de l'an prochain.
Rebelote avec le thème de la sécurité : en même temps que le président de la République donnait un écho à l'inquiétude de l'opinion, la croissance de la délinquance et du crime apparaissait dans les bilans statistiques les plus récents. M. Jospin, apparemment contraint et forcé, a annoncé le recrutement de quelques milliers de policiers de plus. Bravo, M. Chirac. Mais cette interaction entre les banderilles du président et les mouvements de taureau blessé du chef du gouvernement peut-elle être considérée comme une façon de gérer la République ? La méthode de Jacques Chirac semble se limiter à la conjoncture et aux médias. Quelque chose passe dans l'actualité et hop ! je m'en empare pour agacer, le mot est faible, le Premier ministre, le contraindre à modifier son programme à la hâte, et à adopter des dispositions qu'il considérait comme prématurées, sur des sujets qu'il préférait éviter.
Ce n'est pas un jeu : il suffit de voir qu'il peut avoir des conséquences budgétaires, comme dans le cas de la vache folle. Et on imagine ce qui se produirait si, pour gagner leur affection, M. Chirac proposait aux fonctionnaires une augmentation de 2 % dont il laisserait la facture à M. Fabius.
Il est vrai que le renforcement des droits acquis et à venir dans la Fonction publique n'est pas exactement la tasse de thé du président de la République, depuis qu'il a rejoint partiellement et confusément le credo libéral. Mais il ne sera pas le dernier à prononcer un discours engageant le gouvernement à s'atteler immédiatement à la réforme des retraites dans le public et dans le privé. Cela lui sera d'autant plus facile que, comme M. Jospin, il souhaite que 2001 soit une année « utile » et non une année sacrifiée aux ambitions électorales.
Or, effectivement, l'opinion s'étonne que le Premier ministre diffère cette réforme, alors même que le patronat harcèle les syndicats de salariés pour qu'ils rejoignent son propre projet, que les Français craignent une réduction des prestations ou une augmentation des cotisations et que le vieillissement de la population ne permet pas vraiment de perdre un an ou deux avant la mise en place d'un système qui garantirait les retraites pour les vingt ou trente ans à venir.
Certes, M. Jospin ne va pas sortir la solution au problème des retraites comme un lapin de son chapeau. Mais il ne serait pas crédible s'il continuait à dire, comme certains de ses amis politiques, qu'il n'y a pas le feu et que la France peut bien attendre. D'autant qu'il n'est pas moins candidat à la présidence de la République que M. Chirac. Et qu'il aurait l'air de faire ce qu'il a promis de ne pas faire, c'est-à-dire de laisser de côté en 2001 tout ce qui pourrait empêcher ou ternir les victoires politiques que la décomposition de la droite, apparemment irrémédiable pour le moment, lui permet d'espérer.
Et il y a d'autres dossiers de la même importance. De sorte que, en dépit des critiques que lui adressent ceux qui se présentent comme les héritiers authentiques du gaullisme, M. Chirac se sert doublement de la cohabitation : pour améliorer son image, ce qui constitue l'objectif premier, et pour stimuler l'action politique, mais dans une direction imprévisible : on ne peut pas demander à M. Jospin de faire, sous la pression, ce qui lui déplaît et il n'accomplira ses réformes que conformément à ses convictions. A dire que le chef du gouvernement temporise, tarde ou traîne, M. Chirac court le risque de précipiter des réformes qui ne seront pas celles qu'il souhaite.
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