Les victimes d'Irma dans « un état d'angoisse face à une atmosphère de guérilla »

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Publié le 14/09/2017
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Crédit photo : AFP

Face à une dévastation telle que celle connue par les Îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, les habitants éprouvent un choc psychologique profond. Pour assurer la prise en charge médico psychologique, la cellule d'urgence médico psychologique (CUMP) de Guadeloupe, 3 psychiatres, 2 psychologues et 1 infirmière, est arrivée dès vendredi sur le site de l'hôpital de Saint Martin.

Le Dr Jean-Luc Pharose, psychiatre au centre hospitalier de Montéran en Guadeloupe, faisait partie de cette équipe, il y découvre que la situation de crise est toujours en cours. « Les gens étaient encore dans l'action et pas encore dans une démarche de demande de soutien psychologique », raconte-t-il. Ce n'est qu'une fois la menace de José écartée que les demandes d'aides ont afflué. « Nous avons reçu jusqu'à 40 patients par jour en état de stress aigu ou dépassé, précise le Dr Pharose. Une famille entière de 12 personnes est même venue consulter. À partir du moment ou la nouvelle de notre présence s'est répandue, des personnes venaient verbaliser leurs émotions. »

Sur place, le personnel médical de l’île est aussi choqué que le reste de la population. Malgré tout, « ils n'ont pas flanché et ont continué à faire leur travail en mode procédural, témoigne, admiratif, le Dr Pharose. Certains personnels soignants sont venus à notre rencontre, poussés par leurs collègues. Nous avons ainsi traité entre 10 et 15 personnels hospitaliers en effondrement psychique… mais ils se reprenaient vite ! »

Dans quel état psychologique sort-on d'un événement aussi massif que l'ouragan Irma ? Le Dr Jean-Alain Godet, psychiatre au CHU de Guadeloupe a participé à l'accueil des évacués de l'île de Saint Martin. Ces patients « sont dans un état d'angoisse lié à l'insécurité et à l'atmosphère de guérilla » qui règne sur l'île. « Nous rencontrons avant tout des troubles anxieux sévères ajoute-t-il. Le fait que les patients aient été prévenus à l'avance de la venue du cyclone a créé une importante atmosphère d'angoisse avant même la survenue de l'événement », raconte-t-il.

Le risque de troubles chroniques

« Il est trop tôt pour estimer le risque de chronicisation de ces troubles estime le Dr Pharose, mais la longue période de stress entre l'ouragan Irma et la crainte de l'arrivée d'un deuxième peut constituer un facteur facilitant. » D'autres facteurs peuvent favoriser le passage à un syndrome de stress post-traumatique chronique : facteurs prédisposants (abus physique pendant l'enfance, faible estime de soi…), facteurs précipitants (degrés d'exposition à l'événement, âge jeune…) ainsi que les facteurs sociaux, génétiques etc.

« Lors de la réception des réfugiés de Saint-Martin, il a été nécessaire de mettre en place une structure d'intervention souple et rapide à installer », détaille le Dr Godet qui explique avoir rencontré des « rationalisations défensives », c’est-à-dire des discours répétitifs avec, dans ce cas précis, l'impression d'avoir résisté à la situation en faisant une expérience positive.

Un aspect social à ne pas négliger

Les troubles psychiques sont renforcés par le sentiment d’insécurité. « Beaucoup d'habitants veulent partir pour ne plus avoir sous les yeux toutes ces traces de destruction, témoigne le Dr Pharose, aucune des structures rassurantes habituelles comme la poste et surtout l’école n'est resté debout. »

Le Dr Ilyas Mafhoudi, psychiatre, dont le contrat au centre hospitalier Louis Constant Fleming de Saint-Martin s'est achevé quelques jours avant l'ouragan, met en garde contre le risque de « trop psychiatriser la situation ». Rappelant l'importance du volet social. Il insiste sur « le besoin de solutions de logement et de perspectives. Ces gens sont aussi travaillés par des problèmes financiers très pragmatiques. Tous vont avoir besoin de voir leur traumatisme reconnu. »


Source : Le Quotidien du médecin: 9601