L'histoire des sciences au Collège de France

Publié le 22/01/2001
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C 'EST dans un français mal assuré que Ian Hacking a introduit le sujet de sa chaire au cours de la leçon inaugurale, au Collège de France* : les classifications naturelles.

En s'appuyant sur une citation de Merleau-Ponty -  « La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde, et en ce sens une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de profondeur qu'un traité de philosophie » -, le philosophe a souligné que sciences, philosophie et histoire s'entrelaçaient. « Mon étude sur la probabilité au XVIIe siècle, a-t-il dit devant une salle comble, est l'analyse d'un problème philosophique de l'induction. Examiner l'évolution de la probabilité au XIXe siècle est repenser philosophiquement le déterminisme et le libre arbitre. » D'après lui, les styles de raisonnement modifient l'expérience que nous nous faisons du monde.
« Depuis l'époque de Platon, on s'est demandé si les objets des mathématiques sont réels, a repris Ian Hacking. Depuis le XIXe siècle, on s'est demandé si les atomes sont réels. Chaque débat ontologique a lieu dans un style de raisonnement : le style mathématique, le style du laboratoire, le style statistique, le style classificatoire des taxinomistes et des autres. » Le philosophe fait ainsi valoir que chaque style introduit son propre type de critères en matière de preuve et de démonstration, et que celui-ci détermine les conditions de vérité propres aux domaines auxquels il peut être appliqué. « Chaque style s'autojustifie, commente-t-il. Chaque style introduit un nouveau domaine d'objets à étudier. » Ian Hacking considère que l'autojustification, « loin d'impliquer un genre de subjectivisme, est fondatrice de l'objectivité et de la reproductibilité scientifique. L'introduction de nouveaux types d'objets et de nouvelles façons de vérifier les jugements qu'ils suscitent est au cœur de l'objectivité, poursuit-il. On peut préciser cette combinaison de la philosophie et de l'histoire des sciences naturelles. On a alors une "ontologie historique" selon l'expression utilisée par Michel Foucault ».

L'influence des classifications

Jadis, rappelle le philosophe, la classification taxinomique était regardée comme le style de raisonnement le plus simple. « Il y a certes des problèmes persistants pour les taxinomistes en biologie, mais je m'occupe de la classification des gens, celle effectuée, par exemple, par les psychologues et les psychiatres, ajoute Ian Hacking. Je cherche à comprendre les processus d'élaboration de nos idées relatives à des types de personnes, et la manière dont elles influencent les individus eux-mêmes. » Certaines classifications sont, selon lui, particulièrement importantes. Ce sont celles qui, une fois connues des personnes et de leur entourage, et une fois impliquées dans des institutions, modifient la manière dont les gens se perçoivent eux-mêmes. « Cela peut aller jusqu'à une modification des sentiments et des comportements de ces personnes, et ce en partie parce qu'elles ont été répertoriées de telle ou telle manière. » Ce genre de classification est, comme le nomme Ian Hacking, interactif. C'est, selon lui, la différence principale entre les sciences naturelles et les sciences sociales. « Ce qu'on savait de personnes classifiées d'une certaine façon peut devenir faux parce qu'elles ont changé suite à une façon d'être classifiées, suite à une façon de se concevoir elles-mêmes ou suite à un traitement reçu en raison de leur classification. Il y a là un effet de boucle, conclut-il. Ce qui est en question est la manière dont les gens sont faits, parce qu'ils ont été façonnés ainsi. Nous avons ici un autre type d'ontologie historique. »

* Les cours auront lieu les mardis, à 17 heures, dans la salle 2, et les séminaires, les lundis, à 14 h 30, dans la salle 8.

Stéphanie HASENDAHL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6840