PARCE QUE la France connaît une pénurie de greffons osseux, la place de l'os artificiel va grandissant. Guy Daculsi, directeur de recherche à l'unité 9903 de l'Inserm, décrit la situation nationale. Les contraintes réglementaires, explique-t-il, amenuisent les possibilités d'allogreffes à partir de banques d'os. La prévention des risques de contamination entraîne une augmentation des coûts des greffons, sans pour autant faire diminuer significativement le risque. « Le gold standard, poursuit-il, est l'autogreffe. » Mais, dans ce cas aussi, les contraintes sont lourdes. Il faut tout d'abord réaliser une intervention en deuxième site sur le patient, avec la majoration des coûts que cela entraîne. Ensuite, les conséquences de cette seconde intervention, au moins deux fois sur trois, sont connues : douleurs résiduelles pendant plusieurs mois et prise d'antalgiques sur de très longues périodes ; risque infectieux ; morbidité accrue et, surtout, le prélèvement reste faible.
Phosphate de calcium et polymères.
« Il faut donc une alternative qui fasse mieux que l'allogreffe et au moins aussi bien que l'autogreffe. L'os artificiel, mélange de phosphate de calcium, répond à cette définition », explique le chercheur nantais. Le choix s'est porté sur le phosphate de calcium parce qu'il est le constituant minéral de l'os. Le substitut est un matériau de synthèse qui mime la structure osseuse. Résorbable et poreux, il permet d'adapter sa trame minérale à l'absorption de protéines (qui favoriseront la cicatrisation) de facteurs de croissance et à la libération d'ions.
A ses débuts, cet os artificiel se présentait sous forme de granules ou de petits blocs parfaitement calibrés, mis en place dans le site à combler. Il est mis en forme, par des méthodes chimiques performantes, afin d'être le plus biomimétique possible. Sa structure poreuse est parfaitement maîtrisée à l'échelle de sa nanostructure. Autant de facteurs qui permettent une néovascularisation et une colonisation cellulaire indispensables à la création d'un tissu physiologique. De nouvelles formulations sont réalisées aujourd'hui en associant les céramiques avec des polymères pour rendre injectable cet os artificiel et faciliter le développement de la chirurgie mini-invasive.
Cela répond bien à un comblement osseux de petite taille. « L'enjeu actuel porte sur la reconstruction des volumes importants. On ne peut pas refaire un bassin ou un fémur, reconstruire une grande cavité osseuse, car le matériau doit être réhabité par des cellules et des tissus vivants bien vascularisés, que le tissu hôte ne peut plus fournir. »
Apport de cellules souches.
Deux stratégies sont possibles. La première fait appel à l'ingénierie tissulaire. Les granules d'os artificiel sont mêlés à de la moelle osseuse (voir encadré). L'apport de cellules souches capables de synthétiser de l'os offre des possibilités de comblement plus étendues. La seconde stratégie est de rendre le matériau plus performant en y adjoignant un facteur de croissance. Il permet d'induire localement une différenciation cellulaire. Les exemples sont les BMP (Bone Morphogenetic Proteins), qu'il faudra apprendre à maîtriser pour ne pas dépasser le volume prévu.
Après s'être attaqués au comblement de volumes importants, les chercheurs tentent aussi de recréer une fonction. L'idée est « d'associer le substitut osseux à une prothèse. C'est-à-dire de créer un matériau fonctionnalisé en associant l'os artificiel à une ostéosynthèse ». Guy Daculsi présente un exemple démonstratif. Au niveau vertébral, pour réaliser une arthrodèse, on comblait auparavant l'espace par des granules ou des blocs standards. « Nous disposons actuellement de cages de fusion qui maintiennent l'espace intervertébral. Elles assurent la stabilité mécanique. Le chirurgien y dispose ensuite des inserts en substitut osseux parfaitement calibrés et totalement adaptés. Nous parvenons à une chirurgie a minima en site osseux, la moins invasive possible. »
Substituts osseux injectables.
« Aujourd'hui, la chirurgie osseuse répare ; demain on peut rêver que, grâce à des substituts osseux injectables, d'ailleurs en cours d'essais cliniques, la chirurgie pourra avoir un rôle préventif », poursuit le chercheur. Dans un site osseux où la pathologie a pris le pas, comme au cours de l'ostéoporose, des injections locales permettraient une nouvelle synthèse osseuse. « Le problème est que le nouvel os deviendra également pathologique et se raréfiera. L'avenir pourrait être, pour enrayer le processus pathologique, l'adjonction au substitut de bisphosphonates ou d'hormone parathyroïdienne de synthèse. »
On le voit, l'essor de l'os artificiel se confirme en France. D'ailleurs, ses indications s'élargissent, de même que son utilisation partout dans le monde, Etats-Unis et Chine compris.
L'apport de moelle osseuse
Au cours des comblements de volume important, un apport en moelle osseuse est associé à l'os artificiel. Lorsque l'adjonction est réalisée en peropératoire, il s'agit de moelle totale prélevée au niveau de la crête iliaque, riche en cellules souches. Lorsque l'association est faite en dehors du bloc, les cellules ostéogéniques et les cellules souches mésenchymateuses sont isolées. « Dans ce domaine, le retard de la France est important par le fait d'une réglementation contraignante et pas adaptée au développement de l'ingénierie tissulaire. Ainsi, les matériaux sont élaborés en France, mais nous réalisons nos essais cliniques d'os hybride aux Etats-Unis », déplore Guy Daculsi.
Les indications
Essentiellement utilisé dans la chirurgie du rachis et dans le comblement osseux après chirurgie tumorale, le substitut osseux voit ses indications s'élargir. Il est utilisé dans les ostéotomies tibiales d'ouverture ainsi que dans les reconstructions après une chirurgie de révision, notamment dans les reprises de prothèse de hanche (tige fémorale, acétabulum).
L'os artificiel est également arrivé en chirurgie maxillo-faciale et dans les suites de chirurgie délabrante de la face avec irradiation.
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