MUNICIPALES 2001
De notre envoyée spéciale
A 1 040 m d'altitude, au cur des montagnes du Puy-de-Dôme, le Dr Pierre Méry préside aux destinées physiques et civiques des cinq cents habitants du petit village de Fournols. Ses patients sont ses administrés, ses administrés, ses patients. Ou presque. Car, en juin 1995, élu premier magistrat de sa commune, le Dr Méry a vu fuir une petite partie de sa clientèle : « Ceux de mes patients qui étaient sur la liste d'opposition vont, depuis cette date, se faire soigner à 9 km d'ici, je les ai perdus... »
Pas de mélange des genres
La défection de ces quelque vingt-cinq Fournolais est l'une des rares épiphénomènes que peut provoquer la double casquette de maire médecin. « Rares » parce que, dans le cabinet du Dr Méry ou dans le bureau du maire, on évite le mélange des genres : « Il arrive qu'un patient me dise en consultation : "Vous avez vu la lampe devant chez moi, elle ne marche plus !", mais c'est exceptionnel. Les gens ne confondent pas trop. »
A l'inverse, même s'il est parfois « un peu tenté » d'utiliser son cabinet pour promouvoir ses projets municipaux, Pierre Méry se contrôle. « Il faut, explique-t-il, que les patients abordent eux-mêmes les sujets, qu'ils parlent des problèmes de la commune. »
En règle générale, donc, Pierre Méry se dédouble. Il entre dans un compartiment étanche côté stéthoscope, dans un autre, côté écharpe tricolore.
Pour un médecin de campagne à l'ancienne, sur le pied de guerre 24 heures sur 24, l'exercice demande une certaine souplesse. « Il faut être organisé, il faut savoir déléguer. » Un après-midi par semaine, c'est la permanence en mairie. Il y a quelques déplacements, les visites au sous-préfet afin « d'obtenir telle ou telle subvention ». Et pour le reste, « le gros du travail du maire se fait au téléphone ».
Bien sûr, les débuts ont été difficiles. Avoir été conseiller municipal à Fournols pendant douze ans avant d'emporter la mairie, n'a pas empêché Pierre Méry d'apprendre « sur le tas » son métier de maire. Il raconte que lui et ses adjoints « ont pataugé pas mal » avant de « prendre le pli », se souvient d'heures passées au téléphone, la préfecture au bout du fil, pour obtenir un renseignement (« J'ai quelqu'un qui vient de décéder et qui n'a pas de concession. Je ne connais pas les règlements. Comment je fais ? »).
Avec du recul, le Dr Méry reconnaît qu'il « n'imaginait pas l'ampleur de la tâche », admet qu'il ne savait pas, il y a six ans, combien, depuis la délivrance des extraits de naissance jusqu'à la gestion d'un budget « relativement complexe, surveillé par la préfecture et la trésorerie » (8 millions de francs par an à Fournols), le champ d'intervention des maires est « immense ».
Militant dans l'âme - c'est un syndicaliste médical actif : il y a plusieurs années il a pris puis rendu sa carte au RPR -, persuadé qu'on ne « refait pas le monde autour d'une table » et qu'on n'arrive à rien « en restant en dehors des structures », le Dr Méry lie fortement son engagement « politique » à sa profession de médecin. « Un médecin est constamment en contact avec les problèmes de la population. En consultation, on fait beaucoup de social. Si l'on s'intéresse à son travail de médecin, alors on est obligé de s'intéresser aussi à ces questions, et donc à la commune. » Pour « sa » commune précisément, et contre une rétribution de 3 200 F par mois, Pierre Méry n'a pas chômé en six ans. Dans le coin, au détour des monts du Livradois, on dit d'ailleurs qu'il est un maire très « dynamique ».
Des travaux d'aménagement du bourg ont été lancés, l'école, la cantine, la salle des fêtes ont été rénovées, la mairie réaménagée et équipée en informatique, des garages communaux ont été construits pour les chasse-neige et les tractopelles, deux réseaux d'eau ont été refaits, une gazette éditée, l'éclairage a été installé dans tous les hameaux de la commune (jusque-là, ils en étaient privés et, pourtant, s'indigne le maire, « leurs habitants payaient les mêmes impôts que les gens du bourg »). En mauvais Auvergnat, avec ses deux adjoints socialiste et communiste, monsieur le maire sortant sans étiquette n'a donc pas hésité à dépenser les deniers des Fournolais. Mais attention, précise-t-il, il n'a « pas endetté » sa commune.
Car même si son maire l'a entraînée dans une communauté de communes au motif que dans les monts perdus du Puy-de-Dôme, « on continue tous ensemble ou on crève tous ensemble », Fournols n'est pas pauvre.
Les temps changent
La petite cité perchée, dont les exploitations agricoles ont peu à peu disparu, laissant les sapins reprendre leurs droits, n'a rien d'un village moribond. Le tourisme estival fait tripler la population locale pendant deux mois de l'année. Et une fromagerie industrielle où se fabrique, rigole le maire, « 80 % de la raclette que l'on mange en Suisse ou en Savoie ! », assure du travail à 82 employés. Pain bénit pour la commune, ces deux activités sont aussi une aubaine pour le Dr Méry à qui elles assurent une clientèle diversifiée : ses 2 000 ou 2 500 patients potentiels ne sont pas que des retraités.
Parmi eux, il y a des jeunes, des enfants, des « gens de la ville » en juillet et en août. Pour un homme qui fuit manifestement la monotonie, un médecin de campagne par vocation - il a choisi il y a vingt-cinq ans, directement à la sortie de son stage, de s'installer à Fournols, réplique de son petit village natal du Mont-Dore, de l'autre côté de l'Allier -, Pierre Méry est servi. Dans sa commune, il s'offre le luxe de pouvoir tout faire, « du mal de gorge aux choses sérieuses, plâtres, petite chirurgie et même des accouchements ! ».
Le poids conjugué des responsabilités du maire et de celles du « médecin à tout faire » n'est-il pas, parfois, trop lourd à porter ? Non, répond sans hésiter le Dr Méry qui, en six ans à la tête de la municipalité, a pourtant été traîné en justice à plusieurs reprises (« J'ai eu quatre ou cinq procès, je les ai tous gagnés. J'essaie de rester dans la légalité, d'appliquer toutes les normes de sécurité »).
Sur ce terrain, le médecin enrichit le maire : « En tant que professionnel de santé, on se sent visé très souvent au plan médical. Du coup, en tant que maire, je suis blindé. » Blindé, il faut sûrement l'être pour faire face sur tous les fronts. Car si le Dr Méry pense entretenir de meilleures relations avec ses patients qu'avec ses administrés qu'il juge beaucoup plus « revendicatifs », il constate un glissement dans le comportement de sa clientèle. « Ça commence, analyse-t-il, les gens veulent être soignés tout de suite, en permanence. J'ai longtemps eu affaire au bon sens campagnard ; maintenant, j'ai des pressions, les gens se mettent à contester. Autrefois, quand une personne âgée mourait, sa famille me disait qu'elle "avait fait son temps" ; aujourd'hui, c'est un "et pourquoi vous ne lui avez pas fait faire un scanner" que je m'entends dire si un patient meurt à 90 ans. »
Des tas de projets
« Les temps changent » mais le Dr Méry est bien décidé à vivre avec. En mars, il est candidat à sa propre succession et concède qu'il sera « déçu » s'il n'est pas réélu. Pour mettre en uvre les « tas de projets » qu'il a encore pour sa commune, monsieur le maire supportera six années encore les aberrations administratives, les directives européennes parachutées dans le Puy-de-Dôme qui, dans le domaine sanitaire encore plus qu'ailleurs, le font souvent sauter au plafond. Il continuera à s'échauffer quand on lui imposera des chlorations dans ses canalisations. « On fait boire à certains de l'eau de source avec du chlore ! Quelques kilomètres plus loin, d'autres boivent la même eau mais sans chlore, simplement parce que la canalisation qui la leur apporte est ancienne et n'est pas, de ce fait, soumise à la même réglementation. »
Son expérience médicale alimentera sans doute encore le moulin de ses colères de maire. Comme lors de cette réunion de la DDASS (1), où l'on parlait d'eaux polluées, de colibacilles trouvés « chez le président du conseil général » et où le Dr Méry s'est emporté, a dit que, en tant que médecin, il n'avait jamais vu plus d'épidémies là-bas que chez lui.
(1) Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.
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