Il faut que les Français, tous les Français puissent accéder aux soins, sans obstacle financier.
Vœu pieux.
Et partagé par tous les médecins.
Alors, ou est le problème ?
Pourquoi ce préavis de grève pour les médecins de ville (généralistes et spécialistes exerçant en cabinet ou en clinique) ?
C’est, selon Madame Touraine, le médecin libéral qui est fautif, car il sélectionne les patients, et exige des dépassements d’honoraires scandaleux, au point de s’enrichir honteusement. Le fantasme est tenace : pour faire fortune, il est au contraire bien connu qu’il ne faut pas faire médecine ; pour preuve, il n’y a plus de jeunes pour prendre la relève, plus de docteurs pour pratiquer la chirurgie, l’anesthésie, la pédiatrie, la gynécologie…
Pour faciliter l’accès aux soins, il y a d’autres pistes.
Valoriser le métier de médecin de ville par exemple. Et le paiement des actes, qui n’ont pas été revalorisés depuis plus de 20 ans. Mais il ne faut pas rêver : même les gouvernements de droite ne l’ont pas fait.
Il est surprenant que l’idéologie qui a conduit la réforme des allocations familiales n’ait pas été collée à la médecine : des soins accessibles à tous, remboursés de manière variable, selon les revenus.
Madame Touraine aurait pu, avec une logique socialiste, aller jusqu’au bout de sa logique :
- tous les médecins (public et privé) salariés au même tarif, sur la même base de 35 heures de travail hebdomadaire.
- les cliniques conventionnées (et donc subventionnées par la Sécurité sociale) devront réinvestir la totalité de leurs bénéfices. Fini les cliniques pseudos-privées financées par la Sécurité sociale !
Parallèlement, le gouvernement aurait laissé se développer une vraie médecine libérale, pour les méchants Français fortunés, non conventionnée, donc non remboursée par la Sécurité sociale mais seulement par les mutuelles et les assurances. Ainsi, les Français auraient le choix de cotiser pour l’un ou l’autre des systèmes, avec à la clé une économie substantielle pour la Sécurité sociale…
Mais cela aurait supposé une démarche logique et courageuse.
Sans aller jusqu’à tout casser, il aurait été possible, pour « faciliter l’accès aux soins », de renforcer l’hôpital public, en lui donnant les moyens en personnel : l’hôpital manque d’infirmières, depuis une certaine réforme du temps de travail.
Dans la même logique, il aurait été possible d’augmenter l’efficience des médecins hospitaliers, en interdisant purement et simplement à l’hôpital les dépassements d’honoraires, et le secteur privé (la Sécurité sociale rémunère directement le médecin, en plus de son salaire). Faut-il rappeler que les praticiens hospitaliers sont salariés par l’hôpital ?
Non, Madame Touraine a fait un choix : c’est aux médecins de ville que qu’elle demande l’effort qui réglera selon elle le problème de l’accès aux soins : les médecins de ville devront plier au tiers payant et s’interdire les dépassements d’honoraires.
Pour le tiers payant, qui permet à un patient de ne pas faire l’avance des frais de consultation, rappelons qu’à l’hôpital, ce sont des agents administratifs payés par l’État qui assurent ce travail de facturation. En ville, c’est un médecin surchargé, qui travaille le samedi, le dimanche, ou la nuit (les 35 heures, c’est pour les autres) qui devra s’acquitter lui-même de cette tâche administrative stupide et chronophage. Sans compensation bien sûr…
La question qui mérite d’être posée est la suivante : est-ce vraiment l’avance des frais qui limite l’accès aux soins ? En clair, est ce qu’un patient démuni ne va pas voir son médecin, parce qu’il n’a pas de quoi avancer le prix de la consultation ?
Cette théorie ne tient pas, car les médecins, moins méchants que l’on voudrait le faire croire, savent reporter de quelques jours ou de quelques semaines l’encaissement d’un chèque.
Le vrai problème de l’accès aux soins, ce sont des délais d’attente. Et il y a des délais parce qu’il manque des médecins !
Madame Touraine ne veut pas voir ce qui est pourtant cruellement évident : depuis quelques années, les médecins partent à la retraite sans successeurs, au point que dans les campagnes comme en ville, on doit faire appel à des médecins salariés, souvent étrangers : 50 000 médecins étrangers exercent en France !
Est-ce logique alors de demander encore plus aux médecins encore en poste ?
Madame Touraine veut interdire tout dépassement d’honoraires aux médecins qui exercent en clinique. Sous peine de sanction : suppression des autorisations de service public pour la clinique dans laquelle exercent ces médecins. Cette fois-ci, il s’agit d’étendre l’interdiction des compléments d’honoraires pour les autres médecins qui exercent dans la même clinique, et pour tous les actes réalisés dans cette clinique, une opération de chirurgie esthétique par exemple.
Inutile, contre-productive, injuste
Réforme inutile si l’on se place sur un plan moral, car pour les urgences le problème est réglé depuis longtemps, et les dépassements d’honoraires sont interdits.
Réforme contre-productive, puisque la fermeture d’un service d’urgence ou d’une maternité dans une clinique va embouteiller un peu plus les hôpitaux.
Réforme injuste aussi, puisqu’à l’hôpital public les dépassements d’honoraires seront autorisés !
Pendant ce temps, la dette de la Sécurité sociale continuera d’être payée par les Chinois, et les fonds d’investissements anglais, suédois, américains, ou australiens, continueront de spéculer sur le système, et de réaliser des confortables bénéfices sur le dos de la Sécu…
Car au lieu de s’attaquer à ce vrai problème, Madame Touraine, par idéologie, confond les groupes financiers qui exploitent les cliniques privées et avec les médecins qui y travaillent.
Marisol Touraine n’a rien compris.
Le Père Noël n’osait pas
Je viens d’avoir une discussion passionnante avec une jeune femme.
Son médecin traitant l’envoie chez une sage-femme pour bénéficier d’une rééducation périnéale après un accouchement difficile. Normal.
Entretien avec ladite sage-femme : 23 euros. Puis commence la rééducation.
Chemin faisant, si j’ose m’exprimer ainsi, la sage-femme lui explique qu’elle peut tout à fait lui faire ses frottis, prescrire la contraception ; bref la prendre totalement en charge sur le plan gynécologique.
Quelques semaines de rééducation plus tard, devant un résultat jugé peu satisfaisant, notre sage-femme médecin gynécologue traitant décide de l’envoyer consulter un de ses confrères urologues pour une prise en charge chirurgicale…
Un conseil aux bacheliers : ne faites pas médecine. Faites des études de sage-femme, et si possible en Belgique (pas de concours d’entrée) et ainsi vous serez médecin traitant et gynécologue en France.
Avec un peu d’imagination, on peut entrevoir ce que feront les futures infirmières habilitées à « diagnostiquer » et à prescrire…
Quel beau cadeau pour ces praticiens de nouvelle génération : ce que le père Noël n’aurait jamais osé imaginer, Marisol Touraine l’a fait !
Bonne année, bonne santé et médecins en grève
Kafka, si tu n’existais pas, d’autres se chargeraient de t’inventer.
Notre ministre de la Santé affirme que le véritable coût de la consultation est de 31,4 euros, résultat obtenu par I’application des sciences mathématiques : en numérateur, somme de l’ensemble des rémunérations (consultations, forfaits, majorations, indemnités etc.) ; en dénominateur nombre de consultations annuelles.
Ma calculette est idiote car en appliquant la méthode ministérielle, elle marque 26, le même chiffre retenu par l’économiste Jean de Kervasdoué.
Loin de moi I’idée que notre ministre puisse ignorer qu’il y a le temps travaillé avec le patient (1/3 du temps) et le temps travaillé sans patient (2/3 du temps). À raison de 5 200 actes par an, soit 100 actes par semaine, et 15 minutes par acte, ça fait 25 heures par semaine avec le patient et 50 heures sans lui (soit un total de 75 heures par semaine). Donc 31,4 (la consultation) x 100 actes = 3 140 euros par semaine ; 3 140 I 75 = 41 euros brut de I’heure ; on enlève 10 % pour les congés, on enlève les charges (cabinet + charges sociales soit 56 %) ; et il reste en net : 20,66 euros de I’heure…
Le médecin d’aujourd’hui utilise de moins en moins le stéthoscope. Notre société moderne l’invite plutôt à savoir manier avec beaucoup d’agilité les techniques dites modernes et supposées améliorer la condition humaine.
« Allô docteur… »
Médecin de famille, médecin de proximité, il est normal que le téléphone chante pour prodiguer des conseils. Mais à trop chanter, sa voix déraille, avec une pénurie de médecins et une pléthore de patients « surbookés » qui n’arrivent pas à caler un rendez-vous ou à trouver un spécialiste : « Allô docteur, j’ai mon rendez-vous dans 4 mois, mais si vous appelez, je peux I’avoir bien avant. » Avec une Sécu dépassée par son propre fonctionnement : « Allô docteur, j’ai eu la sécurité Sociale qui m’a dit que le plus simple est de tout refaire et surtout de bien mettre la mention duplicata si jamais mon dossier était retrouvé. » Avec une multiplication de services qui font la même chose et qui refusent d’échanger les informations : « Allô docteur, il faut refaire mon 100 % car j’ai changé de caisse ». Avec un médecin traitant transformé en sésame administratif : « Allô docteur, pour…, il me faut un papier comme quoi… »
60 coups de téléphone quotidiens, cela engendre 5 heures de travail par semaine (1 coup = 1 minute) ou 7 h 30 (1 coup = 1 minute 30), voire 10 heures (1 coup = 2 minutes).
Le Maître des temps modernes
Esclave des temps modernes, le médecin a un nouveau Maître : I’ordinateur. Chacun fabrique ses propres formulaires qui demandent les mêmes choses et que l’on refuse d’uniformiser : « Docteur, I’assistante sociale m’a dit qu’il fallait me remplir le dossier APA, le dossier MDPH et les 4 dossiers d’inscription en maison de retraite. » Chacun écrit à l’autre avec copie au médecin traitant chargé de récolter, trier, saisir et conserver les informations. La prévention fait fabriquer des lettres avant même que le patient ne soit malade. La Sécu industrialise la production d’écrits avec I’automatisation de notifications qui compliquent les situations déjà compliquées. Le risque « 0 » invite chaque responsable sanitaire à inonder les boites mails d’alertes. La société incite à la dématérialisation des courriers que le médecin doit « rematérialiser » pour les besoins de son patient.
Les technologies modernes sont gourmandes de mises à jour et d’agréments. La Sécu aime les nomenclatures, les codages, les formalités, et sait aussi être généreuse avec les médecins en leur donnant gracieusement des mémos pour les aider à s’y retrouver. Elle affectionne les déclarations en ligne qui font que le médecin ne regarde plus son patient à qui il demande 23 euros pour I’avoir regardé manœuvrer « en direct ». Et oui, nous sommes entrés dans un nouveau monde dans lequel un patient bien soigné est un patient qui possède un beau dossier mémorisé dans I’ordinateur, dans lequel les besoins du virtuel invitent la relation médecin patient à se virtualiser.
À raison de 6 minutes pour récupérer, lire, saisir, enregistrer, sauvegarder et archiver un seul courrier, cela fait 10 heures de travail par semaine pour 1 consultation = 1 courrier, 20 heures pour une consultation = 2 courriers, sans compter tous ceux produits sans qu’il y ait consultation.
Les visites à domicile supposent… déplacement du médecin (3 heures de voiture par semaine). Le cabinet suppose… nettoyage, surtout quand il pleut (2 heures). Mais des jours meilleurs s’annoncent pour optimiser ce temps perdu avec la « skype-médecine ».
Inspiration poétique
Poète, le médecin trouve dans sa comptabilité toute l’inspiration nécessaire. Le manuscrit « déclarations fiscales » est envoyé un peu à Lille, un peu à Angers, un peu à Lyon, et beaucoup à Givors, mon CDI local. Les allitérations en « re » dégagent un subtil ronronnement : notre ministre entonne la berceuse « TPPT » (Tiers Payant Pour Tous) avec garantie au médecin d’un règlement sous 7 jours, alors qu’actuellement, le médecin doit écrire, relancer (puis, s’il en a le courage, rere, rerere et rererere-lancer) les caisses s’il veut être (incomplètement) payé (après 4 « re »). La rime est difficile : la Sécu refuse de fournir les justificatifs des règlements « FMT » (Forfait Médecin Traitant) et « MPA » (Majoration Personnes Âgées) au prétexte que la CNIL lui interdit d’envoyer le nom des patients correspondants aux versements effectués, alors que d’autres caisses le font, alors que les règles comptables exigent que le nom du patient soit porté à chaque versement. Le ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique) offre au médecin I’opportunité de battre la mesure en comptant le nombre de patients hypertendus et/ou diabétiques, qui prennent ou ne prennent tel ou tel traitement, qui ont fait ou pas fait tel ou tel examen, afin de calculer le prorata de ceux qui sont bien suivis, ont une bonne tension, et prennent les « bons » médicaments. La Sécu offre un rythme curieux quand elle matérialise ces objectifs de santé avec des chiffres « sin bugs » d’un programme informatique qui oublie d’intégrer 20 % des données.
Avec tous ces chiffres, le médecin devient chèvre (et tous ceux qui travaillent pour lui également).
Dépassés par la sur-administration, les médecins n’ont guère de plus le temps de se former. Ainsi, judicieusement, les pouvoirs publics viennent de réduire le financement de la formation continue devenue superflue. Loin de moi I’idée que cela puisse résulter d’une logique « purement » comptable.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ? La complication crée de I’emploi et est prometteuse. « Décompliquer en créant une nouvelle complication » ? Notre énarque de Président a bien compris qu’il y avait là une mine intarissable d’emplois d’avenirs. Ainsi propose t-il comme mesure « choc » de simplification, celle de rendre valide 3 ans un certificat médical d’aptitude au sport pour éviter aux familles cette lourde contrainte administrative… tout en créant simultanément un nouveau règlement : la prescription de médicaments contre le cholestérol exige depuis le premier novembre I’accord préalable de la Sécu.
En apesanteur dans ce monde virtuel, notre Président marche sur la tête : « nous devons inventer des délégations de tâches », c’est plus joli que « il faut déréglementer ». Que les pharmaciens vaccinent, que les infirmières prennent des mesures cliniques, afin que les médecins puissent mieux se consacrer à leurs tâches administratives… et la saisie du futur DMP (Dossier Médical Partagé).
Quelques années ont suffi pour voir mes charges passer de 44 à 56 %. Mea culpa de ne pas avoir su éviter la flambée de l’immobilier, enrayer les surcoûts de l’accessibilité (là aussi c’est poétique : 3 mois ont été nécessaires aux différentes commissions pour dire que la taille de ma poignée de porte était dans les normes), ignorer la hausse de la TVA et réduire à 0 les surcoûts d’une secrétaire devenue inévitable. Honte à moi d’avoir créé un emploi précaire (temps partiel) et pénible, bien que le critère « chèvre » ne soit pas encore inscrit au tableau des indicateurs de la pénibilité.
15,25 euros net : le salaire horaire actuel du médecin
Avec 26 euros la consultation, soit 26 euros pour 45 minutes de travail et 56 % de charge, mon idiote de calculatrice marque 15,25. 15,25 euros net de l’heure, c’est le salaire horaire actuel du médecin.
S’il te plaît Kafka, dis-moi comment je dois penser. Une grève virtuelle avec portes du cabinet ouvertes ? S’il te plaît, dis à nos technocrates qu’augmenter la consultation à 25 euros, c’est aussi élargir l’appétissante assiette fiscale des médecins. S’il te plaît, rappelle aux économistes qui nous gouvernent que le pacte de co-responsabilité pour la co-construction de notre système ne peut pas exister si ce système n’est pas co-solidaire… de lui-même.
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