D ES le printemps dernier, « le Quotidien » l'annonçait : avec un rythme de progression des remboursements (de médicaments) de 1 % en janvier par rapport à décembre et une hausse presque équivalente en février, on peut s'attendre écrivions-nous, à un taux d'évolution à deux chiffres à la fin de l'année, ce qui ne s'est pas vu depuis longtemps ».
Et de fait, les statistiques rendues publiques par la Caisse nationale d'assurance-maladie il y a quelques jours (« le Quotidien » du 19 février) font état d'une croissance de 11,9 % en 2000, par rapport à l'an dernier. Une évolution inquiétante que confirme peu ou prou d'ailleurs, la société d'études et de statistiques IMS Health qui évalue l'évolution du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique concernant les spécialités vendues sur ordonnances à l'officine, à 11 %. La différence pouvant s'expliquer par des reports de remboursements de 1999 sur 2000, que ne prend pas en compte évidemment le chiffre d'affaires de l'industrie. Même s'il est vrai que le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP), de son côté, dans une récente conférence de presse, (« le Quotidien » du 1er février) estimait cette progression limitée à 8,83 %, le gouvernement ne peut se satisfaire de la situation actuelle, alors que le taux de progression pour les dépenses de médicaments était fixé à 2 % en 2000.
L'effet des baisses de prix
Les pouvoirs publics ne sont pas d'ailleurs restés inertes tout au long de l'année 2000. En décidant l'été dernier des baisses de prix de 20 %, étalées sur trois ans, et des baisses de taux de remboursements pour certaines spécialités dont le « service médical rendu » avait été estimé insuffisant par la commission de la transparence, Martine Aubry, qui occupait encore le poste de ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a tenté de freiner la croissance des dépenses. Mais l'effet de cette décision n'a pas été perceptible en 2000, puisque la plupart des baisses de prix dont l'application a été négociée entre le Comité économique des produits de santé (représentant de l'Etat) et les firmes concernées, ne sont entrées en vigueur qu'à l'automne ; certaines même plus tard.
Des proches d'Elisabeth Guigou, lors d'une rencontre informelle avec des journalistes, n'ont cependant pas caché que le gouvernement planchait sur une liste de mesures qui permettraient de mettre un frein à la progression des dépenses de médicaments. Quelles mesures ? On n'en saura pas plus. « D'autant, dit un rien perfide un des journalistes qui assistait à cette réunion, que personne ne sait aujourd'hui les remèdes à mettre en place pour abaisser la facture à la charge de l'assurance-maladie, concernant ce poste de dépenses ».
Une faible marge de manuvre
La vérité est que la marge de manuvre du gouvernement en la matière est particulièrement étroite. S'il est vrai qu'il est condamné à l'action, faute de quoi on lui reprocherait une nouvelle fois de ne rien faire en attendant les prochaines élections électorales, il a peu de moyens d'agir. Si ce n'est une nouvelle fois par des baisses de prix, pour les médicaments dont il juge les prescriptions trop importantes, ou par des déremboursements, s'il suit les conclusions de la commission de la transparence qui est chargée depuis plusieurs mois de réévaluer l'ensemble de la pharmacopée en fonction du service médical rendu (SMR), c'est-à-dire de l'efficacité de chaque médicament.
Ce travail, commandé à la commission par Martine Aubry et Bernard Kouchner (alors secrétaire d'Etat à la Santé, avant son départ pour le Kosovo) devrait être totalement achevé fin mars environ, et, selon un expert, 20 % des 4 500 présentations de médicaments devraient être déclarés comme ayant « un service médical rendu très insuffisant », et donc ne méritant pas, aux yeux des membres de la commission, de figurer parmi la liste des médicaments remboursables. « Mais ce n'est pas à nous, commente un de ses membres detirer les conclusions de ce travail.C'est aux politiques de le faire ». En renvoyant la « patate chaude » au gouvernement, les experts le mettent au pied du mur. S'il ne dérembourse pas, il s'expose certes aux critiques des scientifiques, mais aussi de certains de ses amis, comme la Mutualité, qui milite depuis des mois et des années pour des déremboursements de certaines classes thérapeutiques, peu prises en charge, mais dont elle assure elle-même le remboursement complémentaire, ce qui lui revient fort cher.
Pour autant, le gouvernement va-t-il aller dans cette voie ? Des proches d'Elisabeth Guigou militent pour cette solution ; mais les politiques savent très bien que dérembourser entièrement les veinotoniques, par exemple, ou ne plus en prendre en charge certains vasodilatateurs n'est pas une solution très populaire à quelques mois d'échéances électorales importantes. Reste quand même que le déremboursement des veinotoniques se traduirait par une économie de 2,4 milliards, « qui pourraient être affectés au remboursements des nouveaux médicaments », commente un expert de la Sécurité sociale. Lequel, aussitôt, n'hésite pas à rappeler la proposition du plan stratégique de la CNAM concernant l'application d'un tarif de référence par classe thérapeutique, c'est-à-dire la possibilité de distinguer le prix du médicament du tarif de remboursement. Une proposition qui avait été écartée sans ménagement par la Sécurité sociale, mais qui semble aujourd'hui refaire légèrement surface.
La difficulté des génériques
Dans ce contexte, il faut bien voir que l'industrie pharmaceutique, qui suit de très près ces débats au sein du gouvernement, n'est plus très disposée à faire de nouveau les frais d'une nouvelle politique d'économies. Prise entre les taxes, les contributions multiples, les baisses de prix, les baisses de taux de remboursements, elle fait preuve aujourd'hui d'une certaine impatience, parfois d'accès de colère, ce qui surprend chez elle, tant ces états d'humeur sont exceptionnels. Le gouvernement le sait qui y va avec précaution. Mais de là à se retourner vers le prescripteur, c'est-à-dire le médecin, il y a qu'un pas, qu'il n'est pas près de franchir en ces temps de concertation et de « Grenelle de la santé ».
« Et pourtant, expliquait il y a quelques mois au « Quotidien », Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé, « on n'a pas de moyen d'agir sur la prescription du médecin et encore moins sur la demande de soins ». C'est bien là le problème.
« Puisqu'il semble acquis, dit-on encore à la Sécurité sociale , que la politique des génériques et du droit de substitution ne donnera pas de résultats positifs rapidement (même si ce raisonnement ne fait pas plaisir aux pharmaciens, comme ils viennent de le faire savoir) et puisqu'il est semble hors de question de mettre en place une maîtrise des prescriptions, il faudra bien agir sur le médicament lui-même. » C'est-à-dire en agissant sur la promotion, sur les prix et les taux de remboursement. Il n'y a rien de bien nouveau sous le soleil. D'autant que ces remèdes ont montré leurs limites dans le temps.
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