D ANS la Cappadoce (Turquie), il existe deux villages, Karain et Tuzköy (respectivement 600 et 1 400 habitants), dans lesquels le mésothéliome malin représente 50 % des décès chez l'homme et la femme.
On sait que, chez les rongeurs, le mésothéliome est associé à l'exposition à l'érionite, un type de zéolite, qui est présente dans les pierres avec lesquelles sont construites toutes les maisons. Il était donc logique d'incriminer l'érionite.
Lorsqu'il s'est rendu dans ces deux villages, l'Américain Carbone a pourtant constaté que le mésothéliome frappait surtout certaines habitations, où des familles entières étaient mortes de mésothéliome. Autre surprise : à 1 km au sud de Karain, il existe un autre village (1 500 habitants), construit avec des pierres provenant des mêmes carrières que celles des autres villages, et dans lequel il n'y a eu qu'un cas de mésothéliome malin ; et encore, il s'agissait d'une femme provenant de Karain.
Un facteur génétique semblait donc en cause dans les cas de Karain et Tuzköy. Pour étudier cette hypothèse, un investigateur de Cambridge (Etats-Unis) a passé deux ans dans ces villages, puis six mois en Suède puis deux mois en Allemagne, pays dans lesquels avaient migré 300 habitants de Karain et 250 de Tuzköy.
Un travail de fourmi
Le travail épidémiologique et génétique semblait irréalisable, pour plusieurs raisons : si les femmes prennent le nom de leur mari, il n'y a aucune trace de leur origine familiale ; les hommes dont la femme est morte d'un mésothéliome se remarient, ont de nouveaux enfants, mais rien ne permet de distinguer ceux du premier lit de ceux du second ; les ascendants ne peuvent être identifiés que sur deux générations maximum.
Dans ces villages, pour des raisons culturelles et socio-économiques, les mariages sont essentiellement endogames.
On a pu identifier, au départ, six familles atteintes de mésothéliome. Puis on a découvert que ces six familles appartenaient à une même grande famille comprenant 526 membres sur six générations, ce qui suggéra un ancêtre commun. Dans cette très grande famille, on a ensuite identifié 22 noyaux familiaux comprenant 87 enfants et leurs parents. Sur ces 87 enfants, 41 ont développé un mésothéliome à l'âge adulte. La moyenne d'âge lors du décès était de 55 ans.
Dans les 41 cas de mésothéliome malin, il y avait 11 paires de frères et surs, deux trios et un quarteron ; à chaque fois, au moins un des parent était lui aussi atteint.
L'érionite, un cofacteur chez sujets prédisposés
Dans dix couples mariés, les deux parents étaient atteints.
L'analyse de ce pedigree suggère de toute évidence un facteur familial autosomal dominant ; les enfants affectés ont tous un parent atteint ; 50 % de chaque génération sont atteints.
Ainsi, l'érionite des pierres des maisons ne semble pas être le facteur causal mais un cofacteur chez des individus génétiquement prédisposés, estiment les auteurs. Hypothèse qui « colle » avec l'absence de cas dans Karlik comme dans d'autres villages.
D'ailleurs, les taux d'érionite présente dans les pierres des maisons est le même dans Karain, Tuzköy et les autres villages.
Il est aussi très intéressant de noter ce que l'on a observé chez les émigrés en Suède et en Allemagne : le taux de mésothéliome est identique, voire plus élevé, à celui des deux villages de la Cappadoce.
Par ailleurs, on a détecté un mésothéliome chez un homme provenant de la Cappadoce qui avait migré à Ankara à l'âge de 6 ans et chez d'autres sujets qui avaient quitté leur village dans l'adolescence ; ce qui suggère que le mésothéliome n'est pas directement lié à la durée d'exposition à l'érionite.
A noter que des mésothéliomes familiaux ont été occasionnellement décrits dans des pays plus développés.
« Des informations complémentaires devraient nous permettre de commencer des études de liaison pour identifier le(s) gène(s) qui prédispose(nt) les individus au mésothéliome malin dans ces villages turcs », estiment les auteurs. Un résultat qui pourrait intéresser tous les pays préoccupés par le mésothéliome : « Ce même gène pourrait accroître la susceptibilité aux mésothéliomes malins sporadiques dans les pays plus développés. »
« Lancet » du 10 février 2001, pp. 444-445 (lettre).
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