Le sieur de Courval, docteur en médecine, recense à Avignon et Paris quelques procédés déloyaux utilisés par les charlatans pour tromper leur monde et « mentir comme des arracheurs de dents ».
« À Avignon, pour faire l’expérience de leurs onguents et baumes miraculeux, certains charlatans se perforent les bras et autres membres de leurs corps avec des poignards, dissimulant courageusement la douleur, assurant au peuple l’entière et parfaite guérison des plaies qu’eux-mêmes s’étaient faites dans les vingt-quatre heures, par la seule application et singulières vertus de leurs onguents et baumes souverains. Et, de fait, lorsqu’ils paraissaient le lendemain en public, pour faire montre de l’état de leurs plaies, les spectateurs étaient tout étonnés qu’il n’y apparaisse qu’une légère cicatrice, tant ils savaient dextrement et subtilement faire refermer leurs plaies avec leurs baumes. Mais ce n’était qu’un trompeur artifice et une artificieuse tromperie car on était fort étonné que huit jours après leurs plaies étaient fort offensées en leurs fonds et n’étaient guéries que superficiellement.
« Onguents, baumes, huiles, extractions, quintessences, distillations, calcinations et autres fantasques confections »
Il y a quelque temps qu’à Paris un indigne et effronté charlatan qui se faisait appeler « Il Signore Hyeronimo » avait fait ériger un théâtre en la Cour du Palais, sur lequel étant monté en superbe équipage, la grosse chaîne d’or au col, il décochait les mieux empennées flèches qu’il eut en la trousse de ses artifices, pour louanger par mille mensonges, vanteries et vaines ostentations les vertus et admirables propriétés de ses onguents, baumes, huiles, extractions, quintessences, distillations, calcinations et autres fantasques confections.
Et, afin qu’il ne manquât rien à la charlatanerie et qu’elle fut « omnibus partibus et numeris absoluta », il avait quatre excellents joueurs de violon aux quatre coins de son théâtre, lesquels faisaient merveille, assistés d’un indigne bouffon ou plaisant de l’hôtel de Bourgogne, nommé Galinette la Galina, qui, pour sa part, faisait mille singeries, tours et bouffonneries pour attirer et amuser le peuple, lequel s’approchait en foule de son théâtre, tant pour repaître ses yeux en la contemplation du bouffon que pour contenter ses oreilles en la douce harmonie et harmonieuse douceur des instruments, sans qu’aucun autre dessein ne les y eut portés. C’est ainsi qu’ils se trouvaient tellement chargés par le cajol affecté et babil effronté dudit charlatan qu’ils étaient contraints d’acheter de ses drogues, tant la curiosité et la persuasion avaient gagné sur eux.
Et, pour expérimenter les vertus divines et admirables d’un onguent qu’il se vantait avoir pour les brûlures, il se brûlait publiquement les mains avec un flambeau allumé, jusqu’à se les rendre toutes ampoulées, puis se faisait appliquer son onguent qui le guérissait en deux heures, chose qui semblait miraculeuse aux assistants qui n’avaient pas découvert l’artifice et la ruse dont il se servait. Car, avant de monter sur son théâtre, il se lavait secrètement les mains de certaine eau artificielle, laquelle était douée de cette vertu particulière que le feu ne peut brûler (si ce n’était par un long temps) la partie qui en a été fraîchement lavée, de façon que l’on endure superficiellement la flamme sans sentir que peu ou point de douleur. Cette eau a encore cette admirable propriété que la flamme agissant sur la peau qui en a été nouvellement lavée la convertit en pustules sur la superficie, sans l’endommager nullement en son épiderme, et soudain qu’on applique quelque chose sur la dite peau ampoulée, tout s’en va en poussière et en fumée., laissant la peau de la main ou autre partie en son entier, sans qu’il y apparaisse puis après aucune marque ou vestige.
Voilà donc la tromperie dudit charlatan touchant son onguent pour les brûlures. Et, pour expérimenter le baume souverain et admirable que tant il vantait pour les blessures, il se donnait publiquement des coups d’épée à travers les muscles de l’épigastre, principalement ceux qui ont leur situation vers les hypocondres et soudain appliquait son baume sur les dites blessures, et le lendemain n’apparaissait aux assistants qui s’approchaient en grande affluence de son théâtre que la cicatrice des dites plaies, tant elles étaient étroitement rejointes et réunies avec leur peau naturelle par l’application de son baume, qu’à peine pouvait-on reconnaître la place où les coups avaient été donnés. Mais c’était une guérison palliative, une cure charlatanesque et trompeuse pour piper le monde et attirer de l’argent car lesdites plaies étaient encore toutes fraîches et récentes en leur fonds et n’étaient guéries qu’en apparence et superficiellement. Et pour s’achalander et se mettre en crédit, il tirait et arrachait les dents de ceux qui voulaient en faire tirer sans prendre aucun argent de la peine, usant à cette fin d’un grand et merveilleux artifice de les tirer et arracher sans exciter aucune douleur, n’y même sans user d’aucun autre instrument que ses deux doigts, à savoir le pouce et l’index.
Des arracheurs de dents aux paroles sucrées et à l’infect jargon
Mais pour découvrir la tromperie et la trouver en son gîte, avant que d’arracher la dent que le patient voulait ôter, il la touchait de ses deux doigts, au bout de l’un desquels il mettait subtilement en babillant un peu de poudre narcotique ou stupéfactoire pour endormir et engourdir la partie, afin de la rendre stupide et sans aucun sentiment et à l’autre doigt il mettait une poudre particulièrement caustique, laquelle était d’opération si soudaine qu’en un moment elle faisait escarre et ouverture en la gencive, déchaussant et déracinant tellement la dent, qu’aussitôt qu’il la touchait de ses deux doigts seulement, il l’arrachait. Voilà donc les ruses et tromperies dont se servait le dit charlatan pour piper les plus crédules, s’acquérir de la réputation et bâtir le fondement de la pseudo-pratique charlatanesque sur les masures et ruines de la santé du pauvre peuple.
En somme, voilà les malheurs, incommodités et misères qui arrivent ordinairement à ceux, lesquels ayant délaissé les bons et expérimentés médecins et chirurgiens, qui se mettent entre les mains de telles canailles de charlatans. Pour ceux qui voudraient ici examiner par le menu toutes leurs ruses, tromperies et subtilités, ce serait comme entreprendre de nettoyer l’étable d’Augias du fumier que trois mille bœufs auraient rendu en plusieurs années. Il vaut donc mieux les laisser cachés sous le voile du silence que de les découvrir et exposer au jour, les fuir que les rechercher.
Mais malgré la honte qu’il y a à en parler, il faut dire tout le regret de les souffrir et endurer parmi nous, de les voir exercer leurs meurtres et de faire jouer la frappe et la mine de leurs tromperies, pour la ruine et la confusion de la République et du pauvre peuple qu’ils déçoivent et appipent par leurs paroles sucrées et infect jargon recouvert de belle apparence, tout ainsi que la fausse monnaie dont la montre est fort belle et l’usage de nulle valeur… »
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