A bord de l'Aquarius, au secours des migrants en Méditerranée

Mission humanitaire hors norme pour une généraliste normande

Publié le 27/03/2016
Anne Kamel : prise en charge des réfugiés à bord de l'Aquarius

Anne Kamel : prise en charge des réfugiés à bord de l'Aquarius
Crédit photo : ©Médecins du Monde, Photo Sinawi Medine

Après huit jours de tempête et d’attente, avec une houle de 4 à 6 mètres qui interdisait tout embarquement depuis les côtes de l’Afrique, ils étaient enfin là, ce mardi 8 mars. Dans le petit matin, aux limites des eaux territoriales libyennes : « à l’œil nu, on pouvait distinguer une demi-douzaine d’embarcations, » raconte Anne Kamel. Cette généraliste normande n’en était pas à sa première action humanitaire, après plusieurs missions pour Médecins du Monde, qui l’ont même fait séjourner quinze ans en Egypte, le pays où elle a rencontré son époux. Mais la tâche qui l’attendait fin février à bord de l’Aquarius dans le cadre de l’opération « SOS Méditerranée » était pour elle plus qu’inhabituelle : « avec les équipes de Médecins du Monde, j’avais déjà pratiqué tous les terrains, de la jungle, aux zones de conflits sans oublier les camps de réfugiés, mais un bateau c’est un vrai défi et quand une centaine de réfugiés arrivent, ça ne s’improvise pas… »

"SOS Méditerranée", un bateau et un équipage international

Le projet « Sos Méditerranée » avait pris corps l’an passé grâce à l’obstination d’une responsable humanitaire française et d’un capitaine de marine marchande allemand. Rapidement, Médecins du Monde est sollicitée pour assurer la prise en charge médicale à bord d’un bateau de près de 80 mètres de long. « J’avais entendu parler de ce projet en avril 2015 ; et j’ai fait savoir que je voulais en être », raconte Anne Kamel, qui a tout décidé très vite début 2016 pour trouver un remplaçant à Caen et partir, séance tenante, en formation en février à Concarneau au sein d’une petite équipe comprenant sept personnes dont un autre médecin, deux infirmières et un logisticien. Au programme, cours théoriques, lutte contre l’incendie, manoeuvres en combinaison sur un radeau de survie...

Et voilà l’équipe à Marseille le 20 février, puis à Lampedusa via Palerme pour plusieurs semaines de secours. Gros temps dès l’embarquement le 28 février. On s’amarine. Et on en profite pour fixer les installations médicales et la table d’examen. « On savait que tant que la mer ne se calmerait pas, les bateaux des réfugiés ne partiraient pas,» explique le Dr Kamel. Par la suite, le planning sera évidemment beaucoup plus intense. A l’affut des urgences et au rythme des appels du MRCC, le centre de coordination maritime basé à Rome. Sur place, d’autres navires, militaires notamment, seront aussi mobilisés. « Mais on n’est pas de trop et ils sont ravis qu’on soit là », relève la généraliste. 

Etrange flottille de bateaux déglingués

Face à eux une étrange flottille de zodiacs blancs, moteur défectueux, rustines de fortune, embarcations à moitié remplies d’eau et d’humains…. « Il fallait aller vite. Ce sont des bateaux qui ne sont pas faits pour tenir plus d’une journée. En un quart d’heure nous étions sur place. » Cette première fois, ce sont 74 personnes qui seront secourues par l’Aquarius. Il y a des hommes, des femmes enceintes, cette fois là heureusement pas d’enfants. Ils ont quitté les plages de Libye à minuit la veille au soir, dans des conditions abominables au milieu des tirs. Une femme a perdu son mari, un homme, ses deux frères… « La Libye est un enfer, de viols, de tortures et d’esclavage. Tous nous l’ont dit : ‘quand on est noir là-bas, on est des chiens’ », rapporte, encore bouleversée, Anne Kamel.

[[asset:image:9521 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["vimeo.com"],"field_asset_image_description":[]}]]

Et pourtant, la médecin rapporte de ses conversations avec les naufragés, qu’il n’y a pour eux pas d’alternative. Ils venaient d’Afrique de l’ouest, de Gambie, du nord Cameroun, de Guinée ou du Sénégal, fuyant la misère toujours, les conflits parfois. Comme ces mamans violées sur le trajet…  Cet ado de 12 ans voyageant seul… Ou ce jeune de 25 ans, orphelin de père et dont la mère est restée avec les cinq autres enfants. Lui, fuyant la sécheresse du nord Cameroun est resté trois ans en Lybie sans pouvoir donner de nouvelles à ses proches qui le croient sans doute mort…

"Des gens pétrifiés de froid"

Les voilà recueillis comme beaucoup d’autres les jours suivants à bord de l’Aquarius. Et la présence de médecins n’est pas de trop. Nombreuses plaies des pieds, moult piqures. Pour certains, des perfusions sont nécessaires pour tenir le choc de la déshydratation. « On a récupéré des gens vraiment choqués, pétrifiés de froid, avec hypotension, dénutrition et psychisme totalement détruit. », rapporte Anne Kamel. Dire l’indicible… « Souvent, les femmes ne parlent pas. Ce sont les hommes qui racontent les horreurs subies », explique Anne Kamel. Tous seront débarqués un peu plus tard en Sicile, certains sur un brancard ou aidés comme cet homme atteint de polio ou cette femme enceinte de sept mois, à son arrivée à Lampedusa.

Retour à Caen... pas pour longtemps

Retour à terre aussi pour Anne Kamel, qui quitte l’équipe après trois semaines de sauvetage pour regagner son cabinet de la banlieue de Caen. Elle l’avoue, ça a tangué encore longtemps pour elle, même de retour sur la terre ferme. Mais pour le reste, « les gens ne m’ont pas trouvée trop bizarre », dit-elle, confiant tout de même l’impression de venir d’une autre planète. Une transition qui sera de courte durée. Car, définitivement atteinte par le virus de l’humanitaire, le Dr Kamel a décidé de refermer une parenthèse libérale de deux ans dans son histoire, depuis la fin de ses études en 1989. Pas facile quand on est généraliste installée de concilier différents emplois du temps à la fois... Dans son cabinet de groupe, elle cède donc ce mois-ci la place à un successeur. Et sa vie devrait se partager entre quelques remplacements tout de même pour financer les études de ses deux enfants et de fréquentes missions hors de nos frontières. Retour bientôt sur l’Aquarius ? Si on lui propose, elle ne dira surement pas non, opine cette quinquagénaire obstinée.

Anne Kamel présentant le dispositif médical à bord de l'Aquarius (en anglais)

MDM

Source : lequotidiendumedecin.fr