N E tirez pas sur les agences. En substance, c'est le message de Bernard Kouchner. Jacques Chirac, il est vrai, avait sorti dimanche l'artillerie lourde pour commenter l'avis « irresponsable » rendu trois jours plus tôt par l'AFSSA sur les nouvelles mesures de précaution préconisées pour la consommation du mouton (« le Quotidien » du 19 février).
« Il y a longtemps que l'on prend toutes les précautions nécessaires pour le mouton*, avait affirmé le président de la République, qui inaugurait le 38e Salon international de l'agriculture, à Paris. On n'a aucun élément de preuve nouvelle de quoi que ce soit », avait-il poursuivi pour dénoncer dans l'annonce faite la veille du salon « une preuve au moins de bêtise et de mauvais goût ».
M. Chirac avait encore brocardé « une incitation à la panique (...) tout à fait regrettable ».
Entre alarmisme et obscurantisme
« Je suis vivement surpris par la violence des propos du chef de l'Etat », a commenté Bernard Kouchner, avertissant, dans un entretien au « Monde » qu' « il nous faut bien prendre garde, de toute part, à ne pas confondre santé publique et campagne électorale. »
« Il nous faut savoir raison garder entre l'alarmisme et l'obscurantisme, prévenir le scientisme et la dictature des experts. C'est difficile. Pour ma part, je ne suis nullement un obsessionnel de l'interdiction. Il nous faut faire un travail de pédagogie du risque et ne pas céder à la tentation de transformer le nécessaire principe de précaution en un dangereux syndrome de précaution. »
Ce n'est certes pas la première fois que les agences de sécurité, et singulièrement l'AFSSA, sont en butte à la critique. Nous ne sommes « pas une agence parapluie qui trouve des risques partout », s'en était expliqué Martin Hirsch, dans un entretien avec « le Quotidien » du 19 février.
Notre « travail doit être suffisamment argumenté pour que ses préconisations soient prises en compte quand elle alerte sur un risque », avait déclaré le directeur général de l'agence, assurant qu' « à l'inverse, quand un sujet ne nous paraît pas justifier des mesures de précaution renforcées, nous voulons être tout autant crédibles et pas suspects d'être instrumentalisés par telle ou telle puissance ou de vouloir cacher quoi que ce soit. »
L'indépendance de l'expertise
En l'espèce, l'AFSSA se serait-elle fourvoyée, au mépris de ses déclarations d'intention et au risque d'attiser des mouvements paniques parmi des consommateurs déjà mis sur le grill depuis novembre dernier ? Tel n'est pas le sentiment d'Olivier Duplessis, le vice-président de l'Association des victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (AVMCJ), qui déclare au « Quotidien » que de nouvelles « mesures de précaution doivent être prises, dans la mesure où l'on sait que les ovins et les caprins peuvent être contaminés par l'agent de l'ESB et qu'ils ont été durablement alimentés par les farines animales. »
L'AVMCJ ajoute que « les scandales alimentaires et sanitaires prouvent qu'il est urgent de protéger l'indépendance de l'expertise scientifique des pressions publiques et économiques ».
S'agissant des premières, Bernard Kouchner rappelle encore que les agences de sécurité « appartiennent à l'Etat » et que, « avant elles, il n'y avait rien ou presque en matière de sécurité sanitaire. J'ai créé ces agences dans une démarche de santé publique, de transparence et de constance dans l'information (...) Nous n'avons pas donné le pouvoir de l'Etat aux savants, mais permis aux savants de nous alerter publiquement à temps, ce qui, du même coup, rend la tâche des politiques à la fois plus difficile et plus noble », estime le ministre délégué à la Santé.
Pour sa part, son homologue à l'Agriculture, Jean Glavany rappelle qu' « on a tellement reproché aux scientifiques et aux décideurs d'arriver après la bataille et d'agir trop tard que la démarche (de l'AFSSA) paraît aujourd'hui respectable ».
A l'Académie nationale de médecine comme à l'Académie des sciences, où le projet de création d'une nouvelle agence d'expertise est en cours d'élaboration, sous la responsabilité, notamment, du Pr Maurice Tubiana (« le Quotidien » du 5 février), on s'abstient de commenter les interventions des uns et des autres, par crainte d'alimenter une polémique aux accents politiciens. Mais la sécurité alimentaire semble bel et bien perçue comme un enjeu électoral majeur. Témoin, cette réaction officielle du Parti socialiste aux propos présidentiels : « On ne peut pas s'abriter, il y a deux mois, derrière le principe de précaution poussé à l'extrême pour anticiper l'avis de l'AFSSA sur l'interdiction des farines animales et sur l'extension systématique des tests pour, aujourd'hui, en fonction de l'opportunité, des circonstances ou même des interlocuteurs, contester ce même principe de précaution », accuse le porte-parole du PS, Vincent Peillon.
* Depuis 1996, la réglementation prévoit pour les ovins et caprins nés et élevés en France le retrait du crâne (cervelle, yeux), des amygdales et la moelle épinière chez les animaux animaux âgés de plus de 12 mois, ainsi, quel que soit l'âge, que le retrait de la rate. S'y ajoute, pour les animaux abattus dans le cadre de la police sanitaire, le retrait de la tête et des viscères abdominaux et thoraciques. La principale mesure proposée par l'AFSSA dans son avis du 14 février, consiste à abaisser de 12 à 6 mois l'âge au-delà duquel sont retirés à les organes considérés à risque.
Lire aussi notre analyse en page 23.
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