La check-List

Mythe ou réalité ?

Publié le 08/11/2012
Article réservé aux abonnés
1352342659384929_IMG_92756_HR.jpg

1352342659384929_IMG_92756_HR.jpg
Crédit photo : BSIP

PAR LE Pr DAN BENHAMOU*

L’AMÉLIORATION de la qualité des soins concerne l’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles, c’est-à-dire la réduction de l’écart qui existe entre ce que l’on sait (littérature médicale et référentiels) et ce que l’on fait (pratiques de terrain). On voit ainsi d’emblée que l’amélioration des résultats médicaux ne passe pas nécessairement par des coûts excessifs ou ne requiert pas toujours des efforts de recherche fondamentale. Ces remarques ne veulent pas sous-entendre que la recherche est inutile, mais indiquent clairement que la non-application des données acquises de la science rend illusoire les progrès en matière de santé publique.

Des règles simples peuvent améliorer le résultat des soins de façon importante. La check-list opératoire en est un exemple typique. L’utilisation de check-lists n’est pas nouvelle : elles représentent des outils quotidiens du pilote d’avion et de l’anesthésiste-réanimateur depuis des décennies. Leur mise en œuvre est associée à une meilleure gestion et, en matière d’aéronautique, à un accroissement de la sécurisation des vols établi depuis longtemps.

C’est dans ce contexte que la check-list opératoire a été mise en œuvre par un groupe de travail de l’OMS. Son objectif a été de sensibiliser, avant (et pendant) chaque acte opératoire, les intervenants à des actions simples (mais qui pouvaient être oubliées) en verbalisant leur réalisation au sein de l’équipe opératoire (incluant chirurgiens, panseuses, anesthésistes, infirmiers[ères] anesthésistes, etc.).

De nombreux travaux ont été réalisés pour identifier leur efficacité, mais deux études majeures méritent d’être relevées. L’étude de Haynes et coll. a montré une diminution impressionnante de la morbi-mortalité en milieu chirurgical après la mise en œuvre de la check-list de l’OMS dans plusieurs hôpitaux ayant des modalités de fonctionnement très variées, mais souvent différentes de nos actuelles conditions de travail. La seconde étude a montré que, dans un groupe d’hôpitaux néerlandais ayant des modes d’organisation très proches de ceux rencontrés en France, la mise en œuvre d’une check-list, au travers d’un programme d’amélioration de la qualité, est associée à une baisse de la mortalité et de la morbidité postopératoires, significative et cliniquement importante. Les résultats ont été aussi impressionnants que ceux de l’étude précédente, la mise en œuvre de la check-list ayant été, en effet, associée à une baisse de 40?% du taux de complications et de 50 % de la mortalité périopératoire.

Un degré d’utilisation très variable.

On notera que, même si ces derniers résultats peuvent être extrapolés, le degré d’utilisation de la check-list est apparu très variable au sein des hôpitaux l’ayant mise en œuvre. On sait aussi que le taux de remplissage de la feuille n’a pas une grande valeur car de nombreux soignants le font de façon automatique, voire groupée. Tous les items n’ont pas nécessairement la même valeur, et l’absence de pause avant incision, par exemple, pourrait traduire un manque de prise en compte du rôle majeur des facteurs humains dans l’amélioration de la sécurité.

La variabilité des pratiques et l’absence d’adhésion au changement (qui a aussi été identifiée dans plusieurs études françaises) sont donc notables et méritent d’être combattues. Il est aussi intéressant de noter que les autorités françaises, dans la dynamique des auteurs américains, ont nié, pendant un temps, la réalité de l’insuffisance de la mise en œuvre de la check-list en France. Initialement, la Haute Autorité de santé (HAS) a, semble-t-il, pensé que rendre la mise en œuvre « obligatoire » (au sein des paramètres de certification des établissements) et s’appuyer sur des études cliniques positives allait suffire à modifier les pratiques. Il n’en a rien été et le taux d’implémentation de la check-list reste encore très insuffisant. Pour s’en convaincre, peut-être, la HAS a elle-même diligenté une enquête sur ce sujet sur les hôpitaux du Limousin (rapport EPSILIM disponible sur le site de la HAS) qui a confirmé ce que nous avions remarqué depuis deux ans déjà, à savoir une mise en œuvre incomplète et un pourcentage de professionnels non convaincus encore significatif. De même, aux États-Unis, les articles publiés au cours des deux premières années (2010 et 2011) ne laissaient aucun doute quant à l’enthousiasme des professionnels américains sur ce sujet et ne rapportaient que des résultats positifs. Ce n’est que très récemment que sont apparues les premières publications identifiant les insuffisances d’adhésion, voire les échecs. La HAS a été alertée des difficultés dès 2010 par les professionnels français qui ont suggéré des moyens d’amélioration. Communiquer et expliquer, évaluer le processus et les pratiques, fixer des règles, voire des sanctions, divulguer les résultats au public semblaient être des modalités d’action à entreprendre. Outre-Atlantique, les conclusions des chercheurs sont similaires.

Ces analyses conjuguées, moins positives qu’initialement, mais constructives, ont été acceptées par la HAS qui a lancé une deuxième vague d’actions en faveur de la check-list, actions qui conjuguent communication (auprès des professionnels et du grand public) et évaluation à plusieurs niveaux. Nous avons aussi suggéré une méthode plus coercitive, c’est-à-dire rendre réellement obligatoire la check-list et rendre publics les résultats.

L’amélioration progressive et importante des résultats des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins (IPAQSS) (dossier médical et dossier d’anesthésie en particulier) a démontré l’efficacité de cette stratégie. Cette amélioration a été le fruit de cinq années d’efforts, d’explications et de surveillance. Comment pourrait-il en être autrement pour d’autres sujets qui sont aussi sous-tendus par des modifications de pratique et des changements de comportement des professionnels et impliquent donc d’influencer les facteurs humains des professionnels de santé ?

* Service d’anesthésie-réanimation chirurgicale, hôpitaux universitaires Paris-Sud (AP-HP),

hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.


Source : Bilan spécialistes