nvMCJ : l'énigme des cinq morts de Queniborough enfin élucidée

Publié le 22/03/2001
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P OURQUOI cinq jeunes gens, âgés de 19 à 24 ans, vivant tous dans, ou aux alentours, de la bourgade de Queniborough (2 300 habitants), au centre de l'Angleterre, sont-ils morts du nvMCJ entre août 1998 et octobre 2000 ?

D'emblée, les experts avaient jugé « hautement improbable » que ces cinq cas fussent à imputer au simple fruit du hasard (« le Quotidien » du 19 juillet 2000). Pour autant, des spécialistes, comme la Française Nicole Lauprêtre, coordinatrice du réseau d'étude de la maladie, avaient alors jugé prématuré de parler de foyer épidémique.
Après huit mois d'investigations, les Britanniques ont très certainement percé le mystère. « Nous avons trouvé une association qui fournit une explication biologique plausible, écrit dans les conclusions de son étude le Dr Philip Monk, consultant en santé publique pour les services de santé du comté de Leicestershire, où est situé le village ; quatre des cinq personnes ont été exposées à l'agent ESB par l'achat et la consommation de bœuf à partir d'une boucherie où la viande pourrait avoir été contaminée par du tissu nerveux. »
Pour en arriver à cette conclusion, les experts épidémiologistes ont accompli une belle performance, en réussissant à remonter environ une vingtaine d'années en arrière, jusqu'au début des années quatre-vingt.
C'est donc une contamination croisée qui s'est produite lors de l'abattage ou de la découpe de la viande qui est vraisemblablement à l'origine de quatre cas. « Il s'agissait de techniques de boucherie traditionnelle, pratiquées par des personnes expertes dans leur tradition », a précisé le Dr Monk, soulignant qu' « aucune d'entre elles n'était illégale dans les années quatre-vingt ».
L'une des méthodes pratiquées dans les petits abattoirs de la région consistait à rendre le bovin inconscient avant l'abattage proprement dit en lui tirant une balle rétractable dans la tête, cette balle étant ensuite réutilisée pour d'autres bovins. En contact avec une cervelle infectée par le prion pathogène, elle contaminait les autres bœufs. Une fois la carcasse livrée aux bouchers, ceux-ci utilisaient une méthode consistant à extraire la cervelle en cassant le crâne en deux, occasionnant des écoulements de cervelle qui favorisaient la contamination croisée sur d'autres morceaux de viande, ainsi que sur les couteaux. Des couteaux qui, naturellement, n'étaient pas chauffés à 132° et propageaient durablement l'agent infectieux.

Une vingtaine d'enseignes au peigne fin

Pour alimenter leurs investigations, les épidémiologistes ont adressé des questionnaires aux habitants de Queniborough sur leur régime alimentaire et leurs diverses sources d'approvisionnement. Ils ont interviewé tous les bouchers, les directeurs de supermarché et de magasin de produits surgelés pour savoir s'ils utilisaient des têtes et de la cervelle bovine. Au total, une vingtaine d'enseignes ont été passées au peigne fin. Il en ressort que l'un des bouchers effectuait lui-même l'abattage dans son échoppe, un autre y procédait dans un petit abattoir de proximité ; le premier mit fin à son activité en 1989 et le second en 1982. Ce sont ces deux artisans qui avaient pour clients habituels les familles de quatre des victimes, l'enquête n'ayant pas réussi à effectuer un traçage jusqu'en 1980 pour la famille de la cinquième personne décédée.
La contamination a eu lieu avant 1982 pour l'un des bouchers et avant 1989 pour l'autre, de sorte que les dates d'apparition des symptômes du nvMCJ permettent de conclure que la période d'incubation humaine, pour les quatre cas étudiés, est comprise entre dix et seize ans.
« C'est là le plus remarquable enseignement fourni par les épidémiologistes britanniques : pour la première fois depuis qu'on travaille sur cette maladie, on dispose d'éléments vérifiés sur la période d'incubation », se félicite-t-on à la direction de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).
Autre enseignement très positif de cette enquête : « l'éclairage qu'elle apporte sur le retrait des matériaux à risques spécifiés (MRS), principalement les éléments du système nerveux, commente-t-on encore à l'AFSSA. Elle valide en effet leur retrait, qui rend aujourd'hui impossible une semblable contamination, que ce soit à l'abattoir ou, a fortiori, à la boucherie ».
Cette mesure prévient depuis 1989 tout risque de contamination croisée.
Une mesure de précaution encore renforcée plus récemment, en février 2000, avec l'interdiction de la pratique du jonchage, qui consistait à introduire dans la cervelle une tige de métal (le « jonc ») afin de prévenir les mouvements-réflexes dangereux de l'animal. Le jonchage, avait-on observé, risquait de propager l'agent infectieux dans le muscle.
A cet égard, le travail accompli à Queniborough devrait contribuer à l'apaisement des inquiétudes. Les mesures de sécurité qui ont été adoptées nous prémunissent en effet contre la contamination, telle qu'elle s'est produite dans ce comté du Leicestershire.
Les tenants de l'alarmisme sanitaire auront cependant beau jeu de faire remarquer que les quatre victimes n'étaient pas consommatrices de moelle ou de cervelle, mais qu'elles ont contracté le nvMCJ par la seule consommation du muscle bovin.
Le Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles s'est réuni hier sous la présidence du Pr Dominique Dormont pour examiner toutes les implications de l'affaire. Les Britanniques, pour leur part, ont décidé de maintenir leur dispositif de surveillance épidémiologique dans le Leicestershire.

Christian DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6883