LIVRES
O N a déjà beaucoup analysé les objets qui nous entourent. Mais c'était soit pour y retrouver une symbolique convenue, comme le phallisme de tel capot de voiture, soit dans le sillage Barthes-Baudrillard, pour mettre en exergue quelque effet de signe, comme la 2 CV de l'instituteur dans les années soixante. Pourtant, un objet induit d'abord une pratique concrète, voire plusieurs : se trouver devant un couteau suisse est un casse-tête, tout comme utiliser un portable...
A travers cet objet, montre Tisseron, apparaît une multiplicité de conduites possibles : exhiber sa conversation, mimer au contraire le secret avec une mine de conspirateur ; de façon plus complexe, l'éteindre pour mieux imaginer des messages, se faire harceleur, etc. Tout ceci modifie la relation avec les autres mais également celle qui relie à soi. Le simple fait de communiquer une banalité - « Le train arrive » -, ne nous permet-il pas aussi de retrouver le bonheur de parler tout seul ?
La symbolique du confessionnal
Un objet aussi fonctionnel que le distributeur automatique de billets peut lui aussi laisser apparaître tout un jeu complexe : prendre place dans la file en montrant sa carte pour rassurer, se cacher des regards indiscrets, mais aussi apprendre tout à coup un découvert et se sentir coupable. A travers les attitudes qui nous relient à la machine se glissent rêveries, punitions et récompenses par où l'auteur croit retrouver la symbolique du confessionnal d'antan. Ainsi « autour des distributeurs se mettent en place des conduites magiques qui ne doivent rien à leur fonction réelle et tout à la mythologie religieuse »...
Analysant plus loin la peur qu'ont les parents devant la pratique des jeux vidéos qui absorbe leur progéniture, Tisseron en sort deux composantes : la dangereuse confusion entre le faux et le vrai (dont les « Tamagotchis » seraient l'illustration extrême**) et la tendance au repliement sur soi, une peur qui cache mal selon lui la reprise par les parents d'une hantise de la masturbation.
L'originalité du livre vient surtout du fait que Tisseron cherche à délaisser le contenu même de l'image pour s'intéresser aux conduites collectives qu'elle dynamise. Ainsi l'échographie fœtale, qui est pour le médecin une utile technique de visualisation et de dépistage, peut, confisquée par la famille, devenir une sorte de ciment du groupe : « Son enjeu n'est pas que chaque membre de la famille y voit ce que je voit le médecin. Il est que tous aient l'illusion d'y voir la même chose ». Internet de ce point de vue devient le paradigme de l'image, partout l'interactivité prime sur la contemplation.
De tout ceci l'auteur tire une théorie complexe sur les incessantes interactions régissant les objets et les images. De plus en plus d'objets se font écrans et écrans d'écrans, le transfert du portable à Internet va nous installer dans l'infini d'un ici-partout, espace changeant notre rapport à l'espace et à autrui. Autrement dit, de moins en moins il s'agira devant une image de savoir ce qu'elle signifie ou symbolise, dans le vieux sens freudien ou jungien, de plus en plus on devra cherche quel type de communication elle engage avec les autres, le village planétaire vous dis-je.
Voici certainement un livre extrêmement stimulant, en ce qu'il accroche bien l'air du temps. Il aurait pu être plus sévère avec les accros au portable qui semblent si souvent nier votre présence en lui préférant le délicieux objet. Sur le plan des concepts, la diversité de sens du mot image (monde perçu, représentation sensori-motrice, photo, publicité) entretient souvent une confusion quant à l'unité du projet.
Editions Aubier, 266 pages, 105 F.
* Parmi ses récents travaux, citons : « Y-a-t-il un pilote dans l'image » (Aubier, 1998), « Comment l'esprit vient aux objets » (Aubier, 1999).
** La confusion entraîna une conductrice qui s'inquiétait de la santé de ces animaux virtuels à écraser un enfant bien réel.
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