Olievenstein : après trente ans de Marmottan, le retour à l'écriture

Publié le 22/01/2001
Article réservé aux abonnés
1276297413Img19134.jpg

1276297413Img19134.jpg

«O LIVE »  ?« Je n'ai rien à dire, mais c'est long. Freud, verset XXVI », pouvait-on lire sur un meuble en formica, fatigué de ne servir à rien, dans une grande pièce en vrac et à l'abandon de La Gentillade (Lot), postcure de Marmottan des années soixante-dix - quatre-vingt.

« Un autre homme pour une autre planète », écrivions-nous en 1979. En ce temps-là, Claude Olievenstein, le cheveu poivre et sel tire-bouchonnant, trônait, derrière l'unique porte capitonnée de Marmottan, sur un fauteuil avec mousse apparente aux accoudoirs. Vieil adolescent qui avait oublié de vieillir, il était déjà un personnage historique, sur le déclin. « Mon aura de marginalité est contestée », reconnaissait-il en se découvrant « star, vedette ». Après avoir fait l'Inde en 1953, puis le Népal et la Californie la décennie suivante, il n'était plus « in ». Il refusait en 1976 de répondre à l'Appel du 18 joint, pour la légalisation du haschisch. Par la suite, il a condamné le mouvement punk, en lui reprochant « de banaliser le fascisme et le nazisme ».
Quoi qu'il en soit, Olive, qui s'est éveillé à la religion, oh ! pardon, à la drogue, quand celle-ci s'entourait de mystères, de pèlerinages, d'offices et de sacrifices, quand les drogués étaient des « appelés », des « élus », Olive est resté charismatique.

« L'usine Renault de la toxicomanie »

C'est en « bourgeois libéral humaniste » que ce gaulliste d'hier, né à Berlin, passé par les Jeunesses communistes et l'Union des étudiants juifs de France, édifiera Marmottan. Il y avait un trésor dans la maison d'à côté. Mais point de maison à côté, alors il l'a construite, avec des filles et des garçons, pour le quart d'anciens drogués. Ici, au centre expérimental d'accueil, d'orientation et de soins pour toxicomanes non alcooliques, on « propose ». « On n'est pas chargé de définir la norme, la loi », précise le psychiatre. Et, très vite, ce lieu où l'on fait le choix de devenir quelqu'un par la guérison se transforme en « usine Renault de la toxicomanie ». Avec la crise, le chômage, il a fallu revoir quelques idées sur la défonce. Fini le plaisir par le « trip ». Les produits utilisés traduisent des gestes d'angoisse, de désespoir. « Il n'y a pas de drogués heureux », écrit le Pr Claude Olievenstein.
Dès lors, Olive s'emballe : halte à « l'hyperrépression et à la prison pourrissoir ! », non à « la société à 2 vitesses » avec les pauvres quart-mondisés livrés à des drogues « bricolées », archaïques, et les mondanisés aux « drogues de jouissance et d'extase de plus en plus légales ». C'est le pot de terre contre le pot de fer : côté « service social », « la Bérésina » se dessine, et sur le plan médical, le chef de service de Marmottan (2) est contraint de jouer le rôle d' « un gérant précaire de budgets précaires ».

Trop tôt

Olive monte au créneau, trop tôt, pour appeler à la réduction des risques. En plein drame du sang contaminé (1985), « la Commission nationale des stupéfiants a opposé un refus à sa proposition de vente libre des seringues ». Il faudra attendre un décret du 16 mars 1987 pour que cette mesure destinée à enrayer la propagation du VIH voie le jour. En 1990-1991, il se trouve isolé, là encore, lorsqu'il suggère que la méthadone sorte du champ expérimental et soit administrée par voie buccale et non intraveineuse. Cela ne l'empêchera pas de devenir un virulent détracteur du « tout-substitution », qui participe, selon lui, avec le « trop de psychiatrisation », à la « surmédicalisation de la toxicomanie ». De son point de vue, les produits de substitution répondent à une stratégie visant à modifier les comportements, sans considérer les motivations qui ont déclenché la toxicomanie. Le spécialiste évoque, par ailleurs, un « contrôle social et administrative-judiciaire ». Or, s'évertue-t-il à prêcher, « le monde de la toxicomanie est né de l'impossibilité de parler des différences ». Il convient de « désinstitutionnaliser » les rapports entre les paumés et les autres, « sinon, gare aux mille Vaulx-en-Velin à venir ! ». La toxicomanie, qui résulterait de la rencontre d'un produit, d'une personnalité et d'un moment socioculturel (Timothy Leary), invite à l'écoute, à la patience et à la compréhension.

La citoyenneté du toxicomane

Et Claude Olienvenstein sait que les autres se trompent quand ils ne l'écoutent pas, ce qui est d'autant plus répréhensible qu'il n'a cessé de parler. Défenseur de « la citoyenneté du toxicomane », il la conçoit « y compris dans la sanction : le prosélytisme, le deal, les casses, etc., doivent tomber, toujours, sous le coup de la loi pénale ». Quant aux prohibitionnistes du cannabis, qui mettent en avant « des dangers médicaux », il leur réplique : « Faux, cette plante est seulement démotivante. »
Monsieur le professeur associé en anthropologie, directeur de recherche en ethnopsychiatrie, qui est un tendre, a néanmoins la dent dure contre ceux qui ont pris la relève, faisant exploser la planète Olive. « Marmottan en est arrivé à faire du dépannage : des toxicomanes sous Subutex et méthadone viennent à nous afin d'être sevrés de ces produits », fait-il remarquer. Les pouvoirs publics, « en se défaussant de leurs responsabilités sur les médecins de ville, ferment les yeux, de plus en plus consciemment, sur les jeunes en voie de clochardisation, sans domicile fixe, et réduisent leur action à une politique ultrarépressive ». Désormais, la page du Petit Olievenstein illustré est tournée. Marmottan s'emploie déjà à intégrer ses acquis cliniques dans le cadre plus larges des addictions. « On en arrive, même, à vouloir ne plus parler du toxicomane, et on préfère bavarder sur l'addiction. Mais il n'y a rien de commun entre un jeune alcoolique et un héroïnomane », ne peut s'empêcher de répliquer, en guise d'adieu, son fondateur. Cela étant, Claude Olievenstein n'est pas abandonné, même s'il décroche. Il a des milliers de lecteurs (3) et il lui reste encore à faire de sa liberté retrouvée des abus divers et précieux. C'est le voyage qui compte, avec des mots tout ronds pour ouvrir le chemin.
Venu au monde pour troubler, Claude Olievenstein, qui a permis à des milliers de jeunes de se refaire du temps humain, se porterait à merveille sans ce temps qui l'a conduit à la retraite.

(1) Le 30e anniversaire du centre médical Marmottan, qui coïncide avec le départ à la retraite de son fondateur, donnera lieu à un colloque « Toxicomanie et devenir de l'humanité » à la Maison de la Mutualité, à Paris, le 26 janvier (tél. 01.45.74.00.04).
(2) Marmottan relève du CHS de Perray-le-Vaucluse d'Epinay-sur-Orge (Essonne).
(3) Bibliographie : « la Drogue », Edit. universitaires, 1970 ; « Il n'y a pas de drogués heureux », Laffont, 1977 ; « le Destin du toxicomane », Fayard, 1983 ; « le Non-dit des émotions », O. Jacob, 1988 ; « l'Homme parano », O. Jacob, 1992 ; « Ecrit sur la bouche », O. Jacob, 1995 ; « la Naissance de la vieillesse », O. Jacob, 199 ; « la Drogue trente ans après », O. Jacob, 2000.

Philippe ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6840