Aux États-Unis, un tiers des patients traités pour un cancer ont recours aux médecines alternatives, selon une étude publiée dans « JAMA Oncology ». Parmi elles, la médecine chinoise. Celle-ci est expérimentée depuis 10 ans à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). Le Pr Alain Baumelou, néphrologue, en charge du centre intégré de médecine traditionnelle chinoise de cet hôpital parisien revient sur cette expérience.
Quel est le sens initial de votre démarche pour l’intégration de la médecine chinoise à la Pitié-Salpêtrière ?
Tout d’abord, il est abusif de dire que l’on fait de la médecine chinoise à la Pitié-Salpêtrière. Environ 500 patients ont, depuis 2009, été intégrés à des programmes de recherche. En fait, il est plus exact de dire que nous essayons de faire un peu de recherche clinique, à mesure de nos moyens, sur des procédures de médecine chinoise, en particulier l’acupuncture et les techniques corps-esprit, comme le Qi-Gong, mais aussi la nutrition*. Nous essayons donc de promouvoir un soin conventionnel intégrant certaines procédures de médecine chinoise. La précision est importante car, en Chine, la médecine chinoise est un système de santé en soi. Cela représente là-bas 80 % des consultations et 20 % des hospitalisations. Elle est gérée par un ministère qui est intégré à l'intérieur du ministère de la Santé chinois.
L’effet placebo de l’homéopathie vient d’être réaffirmé par l’Académie de médecine. Quid, selon vous, de l’acupuncture ?
Je ne sais pas mais il y a une réalité. Il y a trois ou quatre ans, dans le service de gynéco-obstétrique, nous avons réalisé un essai sur le thème : acupuncture et douleurs lombo-pelviennes de la grossesse. Et nous avons retrouvé les mêmes résultats que ceux de certaines équipes nordiques qui montraient qu'il y avait vraiment une efficacité. L’effet placebo, c’est une dizaine ou une quinzaine de facteurs. La question n'est pas de savoir s'il y a un effet placebo dans la technique d'acupuncture mais à quel moment il se situe. Du reste, il faut utiliser cet effet placebo qui permet de revenir sur des points clés de la relation médecin-patient.
Notre système de soins est-il adapté à l’intégration de telles techniques ?
Je n’en suis pas certain d’autant que le nombre d’individus réticents à ce genre d’approche est tout à fait considérable actuellement. Le deuxième élément, c’est que nous sommes dans une période de vache maigre, et que ce contexte n’est pas favorable à l’émergence d’une stratégie positive au plus haut niveau.
Avec le recul quel intérêt voyez-vous à l'intégration d’interventions non médicamenteuses aux côtés des traitements conventionnels ?
L’énorme apport de ces médecines complémentaires se trouve à mon sens dans la transversalité qu’elle induit avec les sciences sociales. Travailler avec des psychologues, des sociologues, des anthropologues est absolument capital et je crois que c’est l’avenir pour l’enseignement de la médecine. On ne pourra pas rester avec cette médecine scientifique réductionniste...
Quel est l’avenir de ces médecines complémentaires dans le parcours de soin ?
Beaucoup ne sont pas affirmées scientifiquement mais répondent à une demande du public. Il faut absolument répondre à cette demande par de l’évaluation. Or, ce système d’évaluation est aujourd’hui à inventer car le parcours de phase 1, 2, 3, 4 n’est pas adapté aux indications non-médicamenteuses. Il faut ensuite répondre à la demande des patients par du soin. On ne peut pas se débarrasser du sujet en disant qu’il s’agit de placebo. Par ailleurs, il faut absolument, de la même manière que nous avons de la pharmaco-vigilance pour les médicaments, que nous ayons un système de sécurité pour ces techniques non-médicamenteuses.
Êtes-vous satisfait du travail accompli en dix ans dans votre hôpital ?
Nous sommes vraiment satisfaits de ce que nous avons accompli sur le plan de l’enseignement. Sur le plan essai clinique, nous sommes un petit centre, donc le travail n’est pas très conséquent et sur le plan du soin, cela reste largement insuffisant dans la mesure où nous ne répondons pas à la demande des patients. Celle-ci est si importante que nous ne pouvons la satisfaire pleinement.
L’espérance placée en ce « Centre intégré de médecine traditionnelle chinoise » est-elle exagérée ?
Je ne sais pas. Là encore, il faudrait l’évaluer. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un effet de mode.
*La Pitié-Salpêtrière travaille sur les questions de : nutrition chinoise et diabète de type 2, dans le service nutrition ; les douleurs lombo-pelviennes de la grossesse et l’insomnie de la grossesse dans le service gynéco-obstétrique ; la réduction du “craving” par le Qi-Gong en addictologie ; le tai chi et maladie de Parkinson ; et la fatigue en neuro-oncologie.
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