Entretien avec le chef du service de maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière

Pr Eric Caumes : « Des malades en souffrance et en errance diagnostique et thérapeutique »

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Publié le 14/06/2018
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Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Vous avez réalisé une étude montrant que peu de patients consultant pour suspicion de borréliose de Lyme en étaient effectivement atteints. Quel était votre but avec ce travail ?

Pr ERIC CAUMES : Le problème de fond est qu’il y a des malades en souffrance et en errance (diagnostique et thérapeutique). Ces malades sont mal interrogés, mal pris en charge, et le but de cette étude était de suivre l’adage de Roland Barthes « Nommer, c’est apaiser », pour apporter une réponse à ces patients qui sont le plus souvent atteints de ce que j’appelle un « syndrome de non-Lyme », qui regroupe des pathologies très diverses, généralement non infectieuses.

Quelles sont les conséquences de cette errance médicale ?

Sous prétexte de « Lyme chronique », certains patients reçoivent des mois, voire des années d’antibiotiques. Nous avons vu un patient ayant reçu 22 cures d’antibiotiques ! Cela ne fonctionne pas, comme l’avait montré une étude parue dans le « New England Journal of Médecine »*. Les ordonnances sont abracadabrantesques, avec parfois plusieurs antibiotiques, plusieurs corticoïdes, des antiparasitaires, des antifongiques… sur une même ordonnance ! Et j’ai vu une mention de traitement « à poursuivre jusqu’à l’amélioration des symptômes ». Même quand on traite la tuberculose, on ne fait pas ce genre de traitement, et si l’antibiothérapie est longue, c’est pour éviter une rechute, pas pour traiter ! Certains patients, pris à tort pour des « Lyme chroniques » ne reçoivent pas le traitement adéquat, comme cette patiente Parkinson qui a subi 6 mois d’antibiothérapie… et autant de retard au diagnostic.

Pourquoi cette mauvaise prise en charge ?

Les généralistes sont dépassés face à ce type de demande car ils ne sont pas assez nombreux, mal rétribués et mal formés. De plus, l’interrogatoire peut être très chronophage (la durée moyenne d’une de mes consultations en cas de suspicion de Borréliose de Lyme est de 45 minutes – avec une rentabilité nulle dans le cadre de la tarification à l’activité/T2A). Enfin, les politiques sont sous l’influence des lobbys associatifs et le poids d’une association est supérieur à celui d’une étude randomisée !

 

*Berende A. et al. N Engl J Med 2016; 374:1209-1220 

Propos recueillis par F.R.

Source : Le Quotidien du médecin: 9673