La santé des médecins

Pr Eric Galam (AAPML) : « Le soignant doit rester une personne et pas un super-héros »

Publié le 10/04/2017
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Eric Galam

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Parler des médecins en difficulté reste encore un sujet difficile en particulier lorsque l’on s’adresse à la population et à l’administration, pourquoi ?

Pr ERIC GALAM : On entend encore trop « les soignants sont là pour soigner ; qu’ils ne viennent pas nous ennuyer avec leurs problèmes personnels… encore moins lorsqu’on a besoin d’eux ! » C’est effectivement ce que pensent la plupart des patients.

Les professionnels de la santé sont pourtant plus exposés au burn-out que d’autres, mais leurs appels à l’aide sont peu entendus. On le mesure à la sidération provoquée par le geste fatal d’un médecin à l’Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP) en 2015, ou celui de cette infirmière qui s’est suicidée le 7 mars 2017 dans son bureau d’un autre hôpital parisien.

Si la société est peu disposée à ouvrir les yeux sur les fragilités des soignants, il faut reconnaître que les torts sont largement partagés. Car les soignants, en réalité, se plaignent rarement. Les témoignages rassemblés par un médecin, Valérie Auslender, dans son livre Omerta à l’hôpital (Michalon), font figure d’exceptions. Une centaine d’élèves infirmiers, aides-soignants ou internes en médecine y révèlent en effet les maltraitances infligées par leur hiérarchie. Signe d’un changement des mentalités dans la nouvelle génération ?

Comment les soignants peuvent-ils se faire entendre ?

Plus encore que par le passé, les soignants bâtissent leur identité professionnelle sur une image de super-héros. On les voudrait indestructibles, et ils acceptent d’endosser ce costume, au risque de leur propre santé. Parce que les médecins, notamment, se mettent ainsi en danger et donc, mettent en danger leurs patients, l’Association européenne pour la santé des médecins (European Association for Physician Health, EAPH) a été constituée en 2009. Les 24 et 25 avril, elle tiendra à Paris un colloque sur une problématique de circonstance, « Être un docteur et rester une personne ».

Ce thème fait écho au « Devenir médecin » : on devient soignant par un processus complexe qui prend des années et transforme l’individu. Mais certains, en devenant médecin, oublient qu’ils sont aussi des personnes. Il n’est pas question de faire le travail inverse du processus qui rend soignant, mais de proposer des ajustements dans l’autre sens à deux niveaux : avec mes patients qui sont aussi des êtres humains je me relationne de personne à personne même si je suis centré sur eux et que ma profession est de les aider. Avec moi-même j’essaie quand même de continuer à accomplir ma vie et de prendre soin de moi ce qui n’est pas la même chose que de se soigner soi-même.

Alors que le sujet du burn out subit un « effet de mode » dans la population, pourquoi les médecins sont-ils encore réticents à en parler ?

Les médecins respectent un devoir de réserve digne des militaires, alors que rien ne les y oblige, eux, dans leur statut. De fait, on leur interdit d’avoir besoin d’aide et encore plus, d’en demander. Ce silence est imposé par des normes culturelles implicites, très contraignantes, qui « formatent » les praticiens. Il participe de l’acculturation qui transforme un individu lambda en médecin.

Ces normes sont constituées par un ensemble de comportements évidents aux yeux des étudiants et des enseignants mais non explicités, décrit dans la littérature scientifique comme un « cursus caché » (en anglais, hidden curriculum).

Venant compléter la formation officielle universitaire et clinique, ces commandements peignent les contours du « bon » médecin. Le « bon » médecin ne se trompe pas, il n’hésite pas, il ne se dispute pas avec ses collègues ni avec ses patients et il ne se fatigue pas, même s’il travaille 30 heures d’affilée sans dormir. Surtout, il n’est pas sujet aux émotions malgré sa proximité avec les souffrances des patients et les soins qu’il est amené à leur prodiguer. Autant de règles non écrites qui l’empêchent de reconnaître les signes d’un épuisement professionnel.

Prévenir ou traiter le burn out des médecins pourrait s’imaginer en limitant les horaires de travail de ces professionnels de santé.

Le burn out reste trop souvent réduit, actuellement, à la seule notion d’épuisement physique. On le voit avant tout comme une immense fatigue face à la surcharge de travail, en oubliant ses dimensions émotionnelle et relationnelle. Ces dernières sont pourtant celles qui donnent valeur et sens à l’activité professionnelle, en particulier chez les soignants. Car l’exercice de la médecine clinique ne se conçoit pas sans humanité, sans désir d’aider le patient, donc sans une implication émotionnelle plus ou moins facile à doser.

En niant cet aspect du problème, le soignant épuisé risque de se mettre à considérer ses patients comme des objets et d’altérer, du même coup, son accomplissement personnel. Il met ainsi en péril ce qui constitue l’essence même de son métier. « Être un docteur et rester une personne », pour reprendre l’intitulé du colloque à venir, n’est pas une option ; c’est une nécessité. « Prendre soin de ceux qui nous soignent » en est une autre, si les patients souhaitent être bien suivis et ainsi, se respecter eux-mêmes. 

Propos recueillis par le Dr I. C.

Source : Le Quotidien du médecin: 9571