D ANS leur majorité, les 400 élus locaux, départementaux et régionaux consultés par l'UNPS (1) pour la Journée nationale de prévention du suicide du 5 février, considèrent que l'autolyse est liée « à des troubles d'ordre pathologique » et qu'elle est donc « l'affaire des psychiatres » et « des médecins en général ».
Tous minorent ou méconnaissent les facteurs environnementaux (socio-économiques, notamment) ou familiaux qui jouent un rôle dans le déclenchement de la crise suicidaire et/ou dans la prise en charge de celle-ci.
Les budgets qu'ils consacrent à ce fléau national, qui coûte chaque année la vie à quelque 11 000 Français et provoque 300 000 tentatives, sans compter les 800 000 personnes en état de crise suicidaire, sont soit inexistants, soit très insuffisants.
Les grandes villes
plus sensibles
Soixante-dix pour cent n'allouent aucune subvention à la lutte contre le suicide. La plupart s'en remettent au milieu associatif, qui doit se contenter de « bonnes volontés ». Cependant, il existe une prise de conscience à l'échelon régional. Douze régions ont inscrit la prévention du suicide dans leurs programmes de santé, comme axe prioritaire. Et de grandes métropoles, comme Marseille, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Bordeaux, Le Havre ou Lyon, se sont dotées de réseaux d'intervention. Dans la Vienne, le SAMU 86 pourrait devenir prochainement « la porte d'entrée d'une écoute téléphonique locale », grâce à un accès gratuit et un numéro facile à mémoriser.
Des idées fausses
Nombre d'idées fausses sur le suicide sont véhiculées par les élus. Soixante-treize pour cent jugent que l'hécatombe touche exclusivement ou principalement les jeunes. La réalité est toute autre, puisque les 65 ans et plus fournissent le tiers des suicidés ; plus de 1 400 sont âgés de 80 ans et plus, et les 25-65 ans sont près de la moitié (47 %). Certes, au cours des cinquante dernières années, le nombre des victimes chez les moins de 15 ans a plus que triplé (une trentaine), et celui des 15-19 ans a doublé, mais pour autant, jusqu'à 24 ans, le suicide ne concerne que 730 garçons et filles.
C'est la deuxième cause de mortalité (16 %) parmi les jeunes, après la violence routière (2 000 tués chaque année).
Les tentatives de suicide nécessitent un regain de prévention en général et toute la vigilance des personnels enseignants en particulier. Dix pour cent de la classe d'âge 14-19 ans a des idées noires, c'est-à-dire qu'un adolescent sur dix « y a pensé », confirme une étude de l'INSERM conduite auprès de 1 000 collégiens et lycéens ayant consulté l'infirmerie scolaire (2).
Autres tendances qu'ignorent le plus souvent les élus : les chômeurs se suicident 8,5 fois plus et les employés 4 fois plus que l'ensemble des Français (21 pour 100 000). Les ouvriers agricoles, avec 61,3 suicidés pour 100 000 habitants, arrivent en troisième position. Dans le sud de la Manche, secteur on ne peut plus rural, la question est prise au sérieux. La Mutualité sociale agricole de Saint-Lô a mis en place des relais pour venir en aide aux personnes âgées isolées.
Un programme national
Le secrétariat d'Etat à la Santé a défini un Programme national en septembre dernier, qui prend pleinement effet en 2001. Il s'agit, entre autres, de favoriser un « partenariat actif » entre les classes-relais, ouvertes aux enfants en voie de déscolarisation, et le dispositif de prise en charge pédopsychiatrique (3 millions de francs). A cela s'ajoute la constitution d'un pôle d'observation sur la morbidité et la mortalité des tentatives et des suicides, ce qui, au total, représente 5,7 millions de francs de crédits à la prévention pour l'année en cours.
Au chapitre de la prise en charge médicale, d'ici à 2003, des unités de lits d'hospitalisation complète, en psychiatrie infanto-juvénile, verront le jour dans les 17 départements qui en sont dépourvus. Bien sûr, les généralistes sont concernés. Ils adressent à l'hôpital 80 % des tentatives de suicide. Dans leur grande majorité, les suicidants qui viennent en consultation générale ont pour motif une plainte somatique plus ou moins précise, ce qui rend difficile la reconnaissance de la souffrance psychique sous-jacente, et donc le repérage de la crise suicidaire. A cet égard, un programme spécifique de formation d'omnipraticiens de l'île de Gotland, en Suède, a permis, au bout de 2 ans, de réduire de 60 % le nombre de suicides, de 50 % les consultations en psychiatrie et de 50 % les congés maladie dus à la dépression.
« Je vois, disait Dominique Gillot en présentant son plan national de prévention du suicide à l'automne dernier, un engagement à nous battre pourfaire en sorte que des milliers de personnes qui cèdent à la mort chaque année soient, au contraire, encouragés à vivre, soient soutenues et qu'elles fassent en définitive le pari de la vie. »
(1) Tél. 01.45.45.68.81
(2) Cette enquête INSERM sera rendue publique le 1er février.
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