La lettre du Dr Capitano
Le Dr J.-L. Goëb, auteur de cet article, a rappelé la triade autistique et a insisté à juste titre sur la difficulté d'établir un diagnostic avant 2 ans. Je souligne à ce sujet l'intérêt du ChAT (CHeck-list for Autism in Toddlers) qui, sans être un outil de diagnostic, est un bon outil prédictif du risque d'autisme chez l'enfant de 18 à 24 mois. Cette grille comportementale mériterait d'être introduite dans les carnets de santé des nourrissons : cela se fait depuis quelques années, de façon courante dans les pays anglo-saxons. En France, nous aurions tout intérêt à faire de même, pour combler notre retard en matière de diagnostic précoce de l'autisme ; c'était d'ailleurs, il me semble, une proposition faite par l'Inserm l'année dernière.
Par ailleurs, je m'interroge sur le sens de la phrase suivante : le Dr Goëb déclare « l'enjeu de la prise en charge précoce n'est pas tant de traiter un enfant autiste, que d'éviter toute structuration, toute organisation, tout enkystement autistique de la personnalité ». Il ne décrit, ni ne cite les modalités de prise en charge qu'il préconise pour ces enfants mais insiste plus loin sur le fait que le désarroi parental « peut à son tour aggraver l'état de l'enfant ». Je crois qu'il y a bien plus à faire que le seul soutien psychologique auprès des familles. Il n'existe effectivement pas, en l'état actuel de nos connaissances, de traitement curatif de l'autisme, ni médicamenteux, ni comportemental, ni psychothérapique ; mais certains types des prises en charge vont limiter le handicap et l'expérience montre bien que plus ces thérapies éducatives et plus ces thérapies ciblées sur la communication sont entreprises tôt, plus on peut espérer limiter le handicap.
Les programmes Teacch, l'ABA, la thérapie d'échange et de développement ont fait leurs preuves et depuis plusieurs dizaines d'années - aux Etats-Unis, au Canada et, en France, à l'hôpital Bretonneau de Tours.
L'expérience montre que la probabilité d'apparition d'un langage fonctionnel et communicant, la limitation du déficit cognitif, l'acquisition d'une autonomie relative à l'âge adulte sont corrélées à la précocité de la prise en charge. Là est (et cela paraît tellement logique vue la plasticité cérébrale des jeunes enfants) l'enjeu - le défi - du dépistage précoce. « Une telle recherche d'une cause unique... est... vaine ... », dit le Dr Goëb. Je reconnais que c'est un sujet complexe et encore mal élucidé : mais des chercheurs travaillent heureusement et avec talent dans ce sens (Fombonne, Mottron, Zilbovicius, Ohnishi...).
L'hétérogénéité des tableaux cliniques et l'association possible, sans doute sous-estimée, à des syndromes génétiques identifiables, sont des pistes. D'ailleurs, ces tableaux génétiques particuliers sont-ils toujours recherchés ? Combien d'enfants ou d'adultes « autistes » ou « psychotiques » ou « retardés » sont aussi porteurs, sans que personne ne l'ai jamais repéré, de mucopolysaccharidoses, de sclérose tubéreuse, X-fragile, Opitz, Williams et Beuren, Prader-Willi.
Le syndrome de Down et la phénylcétonurie sont dépistés à la naissance : mais avant l'apparition du test de Guthrie, les enfants phénylcétonuriques étaient sans doute, eux aussi, répertoriés dans la même vaste et hétérogène population des « enfants retardés et à troubles comportementaux » où se côtoyaient autismes, hypothyroïdies, audimutités. Tous ces syndromes associés (association possible avec l'autisme... mais pas constante) et toutes les différences cliniques, somatiques, comportementales, biologiques entre les enfants autistes eux-mêmes, toutes ces « hétérogénéités » doivent nous inciter à encourager la recherche DES causes DES syndromes autistiques.
L'avenir nous révélera certainement différents sous-groupes phénotypiques et génétiques : avec à la clé, des conséquences thérapeutiques différentes selon les tableaux individualisés. Les syndromes autistiques vont vraisemblablement éclater en plusieurs pathologies différentes dont le point commun sera un syndrome autistique d'expression variable.
La dimension « plurifactorielle » de l'autisme est une évidence ; mais en attendant de connaître le détail et l'importance respective des différents facteurs coresponsables, l'aspect plurifactoriel de l'autisme ne doit pas être une incitation à la facilité intellectuelle, un « fourre-tout » où chacun logerait, à son gré, subjectivement ce qu'il a le désir d'y mettre. Pour l'instant, nous savons que le substratum génétique est indiscutable et que, parmi les causes environnementales, nous ne pouvons guère désigner actuellement que les causes infectieuses, anoxiques ou métaboliques.
Nombre de médecins français sont encore farouchement attachés à l'étiologie dite « psychogène » de l'autisme : cette hypothèse n'a jamais été démontrée. Ce n'est pas aujourd'hui un facteur causal retenu par la communauté internationale.
Et à ce propos,je ne sais pas si le « désarroi des parents » peut réellement aggraver l'autisme de l'enfant : mais je sais que le désarroi de parents mal ou peu informés peut les conduire à renoncer à avoir pour leur enfant des exigences médicales, comportementales, sociales, des exigences éducatives et d'autonomie, bref des exigences de qualité de vie avec leur enfant.
La prise en charge familiale exclusivement ciblée sur « le travail du deuil de l'enfant parfait », sur des entretiens de psychothérapie individuelle ou familiale ne suffit jamais ; ne pas engager l'enfant dans un projet éducatif actif, adapté à cet enfant, et constamment réévalué, c'est lui faire perdre un temps précieux parcimonieusement compté : le temps où la plasticité cérébrale est à son maximum de potentialité. Le déni parental, la dépression parentale, le désespoir parental se combattent par un discours lucide, respectueux, progressivement explicatif et des propositions de prise en charge où les parents seront aussi acteurs et partenaires. Pour finir, je voudrais signaler à nos confrères, le mensuel « la Recherche » de mars 2004 : un excellent article fait le point sur ce sujet ; tout médecin devrait lire les huit pages consacrées à l'autisme car il résume d'une façon parfaite toute la complexité du sujet et la nécessité d'éviter de gâcher un temps précieux qui ne « se rattrapera pas (ou mal) » : voilà l'enjeu du diagnostic précoce et il faut s'y employer.
La réponse du Dr Goëb
« Mme Capitano évoque à juste titre le ChAT comme outil de dépistage précoce des troubles autistiques. Cet outil comprend essentiellement l'évaluation du pointage, de l'attention conjointe et des capacités de jeux symboliques ou faire semblant, témoin de la théorie de l'esprit décrite par Frith. Ces trois points sont abordés dans mon article de FMC, que je n'ai pas développé faute de place dans cette colonne. Pour de plus amples informations, les lecteurs sont invités à lire l'excellent ouvrage dirigé par le Dr Pierre Delion : « les Bébés à risque autistique », coll. « Mille et un bébés », Eres, 1998.
Par ailleurs, l'enjeu de cet article de FMC est d'aider les médecins généralistes, en première ligne auprès des familles, à reconnaître des signes évocateurs de troubles de la personnalité chez l'enfant, dans un but résolument de prévention et non pas de prédiction. Quand je signale que la recherche d'une cause unique est vaine, il faut entendre qu'attribuer exclusivement la pathologie de l'enfant, soit à des facteurs organiques, soit psychologiques peut se révéler culpabilisante ou déresponsabilisante, à l'encontre des besoins de l'enfant et de ses parents, comme l'explicite le Pr Didier Houzel.
La recherche des étiologies parfois impliquées dans l'autisme est indispensable à faire mais cela n'était pas le propos de mon article.
De même, le détail des prises en charge n'était pas le sujet de cet article.
Enfin, j'attire l'attention des lecteurs sur le fait que les psychiatres et psychanalystes modernes reconnaissent et soutiennent l'intérêt des recherches scientifiques actuelles sur l'autisme. Les différentes approches sont de ce point de vue complémentaires et non concurrentes, dans l'intérêt de l'enfant et de ses parents ».
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