:Par les Prs YVES GANDON et DENIS HERESBACH*
EN FRANCE, le dépistage du cancer colo-rectal (CCR) dans le groupe à risque moyen repose essentiellement sur la recherche de saignement occulte dans les selles entre 50 et 74 ans. La sensibilité de ce test est imparfaite (60 %) pour le CCR asymptomatique et encore plus faible pour les polypes.
L'efficacité du dépistage endoscopique (une vidéocoloscopie dès l'âge de 50 ans, voire moins en cas de risque élevé, avec un contrôle tous les dix ans en cas de négativité) du CCR se fonde actuellement sur des études cas-témoins qui ont montré une diminution de la mortalité par CCR de 60-70 % et de son incidence de 50 à 70 %. Nous sommes dans l'attente en 2007 et 2010 des résultats de trois essais contrôlés randomisés en population aux Etats-Unis, en Italie et en Grande-Bretagne, et qui vont évaluer le retentissement de la rectosigmoïdoscopie souple (RSS) sur l'incidence et la mortalité du CCR.
La « coloscopie virtuelle » ou coloscanner avec insufflation (air ou CO2) peut aussi devenir un examen de dépistage. Elle comporte une préparation digestive proche de celle de la vidéocoloscopie. L'examen se fait sans injection, avec deux acquisitions abdomino-pelviennes, à faible dose de rayons X, en décubitus, puis procubitus. Elles sont réalisées après l'insufflation, qui distend le côlon, ce qui permet une analyse multiplanaire de sa paroi et une vision surfacique de la muqueuse. Le coloscanner à l'eau n'a pas la même indication : il ne peut pas être utilisé en dépistage car il nécessite une injection de produit de contraste et une quantité de rayonnements X plus importante. Sa place serait plus dans le diagnostic de cancer chez un patient non préparé, en particulier fragile, contexte très différent du dépistage.
Performances.
Une évaluation réalisée par l'Anaes en 2001 et une métaanalyse des études réalisées jusqu'en 2001 ont abouti à des conclusions assez similaires. La sensibilité de la coloscopie virtuelle variait selon les études de 50 à 100 % pour les polypes de taille supérieure à 10 mm et de 39 à 82 % pour les polypes de taille comprise entre 5 et 10 mm. La spécificité était comprise entre 62 et 98 % pour les polypes de taille supérieure à 10 mm.
Les résultats de ces études avaient une validité limitée pour plusieurs raisons : études de petite taille (entre 10 et 180 patients), avec une faible puissance, utilisation de scanners monodétecteurs, adoption de la coloscopie comme examen de référence constituant un biais systématique, inclusion principalement des sujets à risque élevé de cancer colo-rectal limitant la validité et l'extrapolation des résultats au dépistage chez des sujets à risque moyen.
Deux études récentes, publiées dans les douze derniers mois, sont venues attiser le débat.
L'étude de Pickhardt et coll. donne des résultats très en faveur du scanner, puisque, sur une population de 1 233 patients asymptomatiques, il démontre que sa sensibilité pour la détection des polypes de 8 mm ou plus est de 93,9 %, ce qui est légèrement supérieur à celle de la vidéocoloscopie, qui est de 91,5 % (1). La spécificité du scanner est de 91 %. Un des deux polypes dégénérés a été manqué par la coloscopie. Si l'on considère qu'un polype de 8 mm doit conduire à une coloscopie pour exérèse, seulement 13,5 % des patients auraient été concernés. Pour les lésions entre 5 et 7 mm, un contrôle rapproché (2-3 ans) pourrait être proposé, alors que, pour les autres patients, seul un contrôle à cinq-dix ans serait nécessaire.
Très récemment, l'article de Rockey et coll. est venu tempérer les conclusions de Pickhardt. En effet, sur une population de 614 patients, les résultats sont très nettement en faveur de la vidéocoloscopie, qui a une sensibilité de 98 % pour les lésions d'au moins 6 mm, alors que le scanner a une sensibilité de 54 % (2). L'étude compare aussi au lavement en double contraste qui a des résultats nettement inférieurs, avec une sensibilité de 41 %.
Comment peut-on expliquer ces différences ? La méthodologie est assez similaire, avec, cependant, dans l'étude de Rockey, l'absence de marquage des selles, probablement une plus grande hétérogénéité des centres (le nombre d'inclusion par centre varie entre 2 et 165), une lecture en 2D première, avec utilisation moins systématique du 3D et, enfin, l'écart de performance des logiciels de lecture entre les deux études.
Depuis ces études, la technique d'acquisition des coloscanners s'est encore améliorée, avec l'arrivée de scanners comportant un grand nombre de canaux de détection (16, 40, voire 64, détecteurs) qui permettent une acquisition plus rapide, des coupes inframillimétriques et, donc, moins d'artéfacts. Les modalités techniques de préparation au coloscanner ont été standardisées, associant une purge orale et un marquage des résidus stercoraux par ingestion de produit de contraste. Les logiciels d'analyse des images permettent de comparer décubitus et procubitus en associant des vues multiplanaires et des vues en 3D d'endoscopie virtuelle, voire des dissections automatiques, qui permettent un étalement du côlon.
Des outils d'aide à la détection de polypes sont en évaluation et devraient permettre une diminution du temps de lecture sans réduction de la sensibilité, en particulier pour les opérateurs moins expérimentés. Il existe, en effet, une courbe d'apprentissage, avec une croissance lente de la performance des lecteurs. Il a été montré que cette phase peut être réduite par une formation adéquate sur des données contrôlées. Des formations sont organisées à un niveau international aux Etats-Unis ou en Europe.
Perspectives.
La diffusion de la technique en France reste assez limitée, mais l'article de Pickhardt a fait prendre conscience que la coloscopie virtuelle est devenue une technique qu'il faut pouvoir proposer à des patients sélectionnés. Les indications les plus évidentes sont les coloscopies incomplètes, mais il y aussi de nombreux patients qui devraient avoir une coloscopie et qui en repoussent perpétuellement la réalisation. Cependant, les patients qui ont un fort risque d'avoir au moins un polype (première exploration chez un sujet à risque élevé) auront intérêt à avoir directement une colonoscopie qui, ne l'oublions pas, assurera dans le même temps la résection des lésions.
Les gastro-entérologues ont pris conscience qu'il ne fallait pas rejeter cette technique alternative, mais plutôt la voir comme un examen permettant de découvrir et de réséquer des polypes chez des patients qui n'auraient pas eu de vidéocoloscopie.
Des études comparatives ont montré une meilleure acceptabilité du coloscanner par rapport à la vidéocoloscopie. Le principal avantage de la « coloscopie virtuelle » est d'être un examen peu invasif, ne nécessitant pas d'anesthésie ou de sédation, et ne comportant pas de risques, hormis l'irradiation. Celle-ci reste cependant faible, car les doses utilisées sont bien inférieures à celle d'un scanner classique. Cependant, la nécessité actuelle d'une préparation du patient assez similaire à celle utilisée pour la coloscopie peut aussi freiner son acceptabilité dans la population. Une évolution vers une préparation légère sans laxatifs se dessine, mais les performances n'ont pas été évaluées à large échelle.
Une large étude nord-américaine, multicentrique, utilisant des scanners récents, un marquage des selles et des logiciels d'analyse performants, est lancée depuis quelques mois. Elle devrait permettre d'obtenir des valeurs de sensibilité des deux types d'exploration avec une technique « up to date ».
Pour évaluer la performance et l'impact médico-économique en France de la coloscopie virtuelle, la SFR, en association avec la Sfed (Société française d'endoscopie digestive), a lancé un projet financé à l'échelon national dans le cadre de l'appel d'offres Stic 2005 (soutien de techniques innovantes et coûteuses), dans le champ Cancer. Ce projet, qui concerne vingt-cinq centres, comprend la formation préalable des équipes, la réalisation comparative d'une coloscopie virtuelle et d'une vidéocoloscopie chez 1 500 patients, et une évaluation de la performance de différentes conditions de lecture afin d'apporter des données à la construction d'un modèle médico-économique. Ce programme devrait permettre de créer une expertise nationale et une offre de formation facilitant la mise en œuvre de cette technique dans notre pays
* Hôpital Pontchaillou, Rennes. Responsables du projet Stic au titre des SFR et Sfed.
(1) Computed Tomographic Virtual Colonoscopy to Screen for Colorectal Neoplasia in Asymptomatic Adults. « N Engl J Med » 2003 ;349(23) : 2191-2200.
(2) Analysis of Air Contrast Barium Enema, Computed Tomographic Colonography, and Colonoscopy : Prospective Comparison. « Lancet » 2005 ; 365(9456) : 305-311.
Epidémiologie
En France, entre 1980 et 2000, le nombre de cas de cancer colo-rectal (CCR) est passé de 23 900 à 36 000, soit une augmentation d'incidence standardisée de 16 % en vingt ans. Parallèlement, le nombre de décès annuel par CCR a augmenté de 22 %, et il est passé de 14 727 à 15 973. Un Français sur 25 sera atteint par ce cancer durant son existence. Le dépistage du CCR est donc un enjeu majeur de santé publique.
Trois groupes à risque ont été définis en fonction de l'incidence du CCR : les sujets à risque très élevés correspondent à des patients porteurs d'une polypose familiale ou au CCR héréditaire sans polypose (Hnpcc) ; les sujets à risque élevé qui ont des antécédents personnels ou familiaux de CCR ou d'adénome colo-rectal ou porteurs d'une maladie inflammatoire du côlon ; les sujets à risque moyen correspondant à la population générale.
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