L E gouvernement reprend la main sur la santé au travail, après l'accord signé par le patronat et les syndicats CFDT, CFTC et CFE-CGC en septembre et en décembre 2000.
Dans une « note de cadrage » que s'est procurée « le Quotidien » et présentée récemment à la commission permanente du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité décrit le « vaste chantier normatif » (réglementaire pour l'essentiel) à réaliser pour « permettre la mise en uvre de l'accord interprofessionnel ainsi que des points que l'accord n'a pas abordés mais qui répondent aux exigences d'une réorganisation globale ».
La note de cadrage du ministère remet notamment à l'ordre du jour deux mesures défendues par Martine Aubry lorsqu'elle était ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Tout d'abord, pour remédier à l'actuelle pénurie de médecins du travail - « déficit chronique stabilisé autour de 500 postes équivalents temps plein » -, le ministère envisage d'organiser la reconversion de médecins libéraux à la médecine du travail. En 1998, une disposition de la loi sur la sécurité sanitaire avait déjà permis de régulariser ponctuellement la situation de 230 praticiens qui occupaient des postes de médecin du travail sans les diplômes requis (c'est-à-dire sans avoir passé le concours de l'internat étudiant ni le concours de l'internat européen, les deux seules voies d'accès à cette spécialité reconnues à ce jour).
Une troisième voie de recrutement
La loi du 1er juillet 1998 prévoyait donc pour ces derniers une formation spécifique de deux ans qui constituait une troisième voie provisoire à la médecine du travail. Le ministère voudrait cette fois créer une troisième voie pérenne par « une mesure législative organisant un mécanisme complémentaire de formation et de recrutement offrant toutes garanties, tant du point de vue de la qualité de la formation, de l'opérationnalité de la réponse aux demandes croissantes de nombreux services de terrain, que de l'attractivité pour les praticiens libéraux prêts à se reconvertir dans la médecine du travail ».
Une indépendance renforcée
D'autre part, le ministère entend renforcer l'indépendance des praticiens de la spécialité. L'accord des partenaires sociaux propose déjà que les commissions de contrôle des services interentreprises décident à l'avenir de la validité de tout changement d'affectation d'entreprise d'un médecin du travail, sur demande de l'intéressé. « Il appartient à l'Etat de garantir l'effectivité de cette garantie supplémentaire », souligne le ministère qui veut aller plus loin. En effet, il souhaite non seulement faire interdire par la loi le recours à des médecins du travail sous contrat de travail temporaire, mais aussi « subordonner un éventuel licenciement de médecin du travail à une autorisation de l'inspection du travail (quelle que soit la position exprimée par le comité d'entreprise ou la commission de contrôle) ». « Sur le plan fonctionnel, ajoute le ministère dans sa note, la création (par voie réglementaire) d'une commission médico-technique au sein des services médicaux pour promouvoir l'échange collectif entre médecins du travail constitue également une garantie indirecte d'indépendance. »
Intégrer des « compétences non médicales »
Par ailleurs, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité estime que l'action en milieu de travail des spécialistes, est « insuffisamment développée en pratique ». D'où la nécessité de développer la pluridisciplinarité (1), en intégrant au service médical des « compétences non médicales ».
Le ministère reconnaît que l'espacement des visites de 12 à 24 mois, proposé par l'accord entre les partenaires sociaux sur la santé au travail, peut permettre de réaffecter une partie du temps clinique du médecin du travail. Mais il pose deux conditions. D'une part, la modulation de la périodicité des visites annuelles « n'est pas applicable aux salariés placés en surveillance particulière en raison des risques liés à leur activité », souligne le ministère. D'autre part, le temps médical dégagé doit être « exclusivement consacré à l'activité en milieu du travail », et non à des activités cliniques supplémentaires.
Enfin, le gouvernement veut moderniser la médecine du travail en renforçant sa contribution à la veille sanitaire, par exemple en faisant participer davantage les médecins du travail à certaines enquêtes.
Dans le cadre plus général de la santé au travail, le ministère prend acte d'autres points de l'accord signé par le Medef, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, comme l'instauration de commissions paritaires locales destinées aux petites entreprises ou l'intervention croissante des branches professionnelles dans la prévention des risques. Pour le ministère, la négociation au niveau des branches ne saurait cependant remettre en cause le périmètre des surveillances médicales spéciales défini par l'Etat. Les partenaires sociaux se borneront, dans chaque branche, à « inspirer l'adaptation » des normes existantes.
(1) Le principe de pluridisciplinarité était déjà contenu dans la directive européenne de 1989 sur l'amélioration de la sécurité et de la santé des salariés au travail (que le gouvernement s'apprête à transposer en droit français). Les partenaires sociaux ont également intégré cette approche pluridisciplinaire dans leur accord, en donnant la possibilité aux employeurs de recourir à des spécialistes agréés (hygiénistes, ingénieurs...) pour évaluer les risques professionnels.
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