Courrier des lecteurs

Réponse au jeune médecin révolté

Publié le 09/03/2017
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Votre cri du cœur, publié dans « le Quotidien » du 9 février, m’a fait une immense peine. Je savais tout ce que vous avez écrit et n’y changerais pas une virgule. Vous êtes, comme la plupart d’entre nous, avide de faire bien, de soigner, de consoler, d’accompagner si guérir est impossible. Seulement voilà ! Vous êtes broyé dans un engrenage de rentabilité. Exactement le même que celui d’un marché mondialiste où la nécessité de bénéfices sans état d’âme est prête à tout, quitte à broyer les peuples.

J’ai eu la joie extrême de soigner gratuitement, parce que c’était encore possible à une époque où, en début de carrière, nous avions encore la liberté de demander un peu plus si un autre le pouvait. Comme vous, j’étais Bac +12 et j’ai vécu le début de cette catastrophe dont nous devons avoir honte. Cela a commencé ma dernière année d’internat. Je fus appelé chez le directeur de l’hôpital qui me fit comprendre que je n’étais pas rentable ! Pourquoi ? Tout simplement parce que, à l’époque, sa rémunération se faisait par lit occupé et que j’avais l’immense tort de faire rentrer les guéris chez eux… et cela faisait des lits vides.

Ensuite j’ai été attaqué dans ma propre pratique de gastroentérologue par un conflit entre les nécessités industrialo-commerciales des uns et des ukases de la Sécurité sociale. Le déni des réalités commençait. Les tarifs proposés par cette dernière ne permettaient en aucune façon d’amortir un endoscope, made in Japan, horriblement cher, durant les trois ans d’un usage normal. Ils étaient le tiers de ceux de mon homologue allemand ou british et, excès inverse, le dixième de ceux pratiqués aux US.

Nombreux fûmes-nous dans ce cas et dans toutes les spécialités à contraindre, je dis bien « contraindre », les politiques (de droite) et la Sécurité sociale à accepter le fameux
et tristement célèbre secteur II. C’était cela ou arrêter de faire une gastroentérologie « normale »… mais n’empêcha pas un contrôle fiscal approfondi et immédiat qui ne déboucha sur rien mais enquêta jusqu’aux factures d’achat des petites culottes de ma femme… (déjà…). Le déni s’est alors amplifié. Aux contraintes financières se sont ajoutées des paperasseries de plus en plus inimaginables suivies de l’irruption des mutuelles.

Ayant l’âge requis, j’ai pris ma retraite avec soulagement. Jeune installé, je pouvais aller deux fois chez le coiffeur avec une consultation et juste à peine une fois en partant… Mais nous étions encore respectés et même… regrettés. Alors, jeune collègue, vous affrontez un monde égoïste et la médecine est devenue une industrie soumise à ses règles, aux mains des fabricants d’appareils multiples, de médicaments, des mutuelles, tout un monde ligoté dans un maelström économique où l’on vous broie et, si la profession ne prend pas elle-même en mains son informatique, ce sera un hachis.

Alors, comment vous venir en aide ? Vous avez la même passion que la nôtre, il y aura toujours des passionnés et l’Histoire nous apprend que ce sont souvent ceux qu’on martyrise. La réalité actuelle est infernale et il va falloir « faire avec » en creusant le malheur des autres… s’ils s’en rendent compte. Mes soixante-dix-huit ans me disent qu’il ne faut pas baisser les bras, votre passion est la plus belle qui soit. Surtout ne lâchez RIEN.

Dr Patrick Leboulanger, Neuilly (92)

Source : Le Quotidien du médecin: 9562