« L ES caisses pourraient, si cela rejoignait le souhait des professionnels, se substituer à eux en responsabilité civile dès lors que ces référentiels (les recommandions de bonne pratique) auront été respectés. » Dans le document de neuf pages élaboré par les présidents et directeurs des trois caisses nationales d'assurance-maladie pour alimenter la concertation sur la médecine de ville lancée par Élisabeth Guigou, la phrase n'est pas passée inaperçue.
Car, en formulant cette suggestion les caisses proposent ni plus ni moins de dégager la responsabilité des médecins libéraux s'ils ont respecté des recommandations de bonne pratique et qu'un de leurs patients les poursuit en justice. Et d'assumer elles mêmes les conséquences financière d'une éventuelle condamnation. L'objectif des dirigeants des caisses est limpide : inciter les médecins à utiliser les recommandations de bonne pratique (facteur de qualité des soins mais aussi d'économie) en dissipant les appréhensions que font naître chez de nombreux praticiens la judiciarisation croissante de la médecine. Entre 1994 et 1999, le taux de sinistres déclarés aux compagnies d' d'assurance des médecins libéraux (Le Sou Médical et la MACSF) est en effet passé de 1,35 par an pour cent médecins à 1,66 par an pour cent médecins. Et le nombre de sinistres déclarés pour les praticiens libéraux a été évalué pour l'année 1998 à 3 600 environ.
La proposition de la CNAM - qui nécessiterait un accord politique et des modifications législatives ou réglementaires pour pouvoir entrer en application - soulève un certain intérêt chez les médecins. Le Pr Bernard Glorion, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, attend d'en savoir plus et de faire étudier ce projet par des conseillers d'Etat avant de se prononcer ; mais il estime qu'il y a là matière à réflexion. L'Ordre avait déjà évoqué, lors d'un débat interne, la possibilité pour les caisses de se substituer aux médecins dans les affaires en responsabilité civile. Ce débat avait eu lieu lors de l'élaboration de la convention médicale de 1993 signée entre l'assurance-maladie, la CSMF et le Syndicat des médecins libéraux. Les partenaires conventionnels avaient, en effet, envisagé une telle réforme pour le cas où les médecins respectant les références médicales opposables auraient été poursuivis en justice par un de leur patient à la suite d'un aléa thérapeutique. L'Ordre à l'époque ne s'était pas prononcé clairement, indique un conseiller national d'alors, mais avait simplement soulevé une objection : que devient dans ces cas la responsabilité individuelle du médecin qui est des fondements l'art médical. Finalement l'idée des signataires de la convention, soutenue par Gilles Johanet, directeur de la CNAM, n'avait jamais vu le jour.
Une mesure logique ?
Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux - qui avait soulevé le problème dès 1993 - accueille favorablement la proposition figurant dans le document de la caisse nationale. « Dès lors que l'on demande aux médecins de respecter des recommandations de bonne pratique et qu'ils le font, il est normal qu'ils soient protégés si l'un de leurs patients leur fait un procès. » Avis également formulé par Nicolas Gombaud, de la compagnie d'assurance Le Sou Médical. « Finalement, estime-t-il, si l'on fait des recommandations des normes qui s'imposent, le fait que la caisse nationale en assume la responsabilité, y compris devant les tribunaux, me paraît logique. »
Certains praticiens avaient d'ailleurs accueilli avec réticence le système des référence médicales opposables de la convention de 1993 en raison de ces questions de responsabilité civile. Le problème, rappelle Nicolas Gombaud, s'était posé avec une acuité particulière dans le cas des frottis cervicaux : certains médecins redoutaient en effet que, en limitant le nombre de ces examens pour respecter les références médicales, ils ne s'exposent à des poursuites. Rappelons que la convention médicale de l'époque autorisait les médecins à commettre un nombre - certes limité - d'infractions par rapport aux RMO sans pour autant encourir de sanctions.
La proposition des caisses soulève cependant un certain nombre de question. Ont-elles évalué les conséquences financières pour les comptes de l'assurance-maladie des sommes que la Sécurité sociale serait amenée à verser aux patients indemnisés ? Comment cette modification s'articulerait-elle avec la disposition législative en cours d'élaboration concernant l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, disposition qui donne lieu de difficiles arbitrages gouvernementaux ? Faut-il en conclure que la CNAM serait disposée à verser au fonds d'indemnisation des aléas thérapeutiques les sommes correspondant aux aléas survenus lorsqu'un médecin respecte les recommandations de bonnes pratiques ? Autant de questions pour l'instant sans réponse. Dans l'état actuel des choses la suggestion des caisses d'assurance-maladie apparaît surtout comme un geste politique à l'égard des médecins, comme un volonté de faciliter la mise en oeuvre d'une maîtrise médicalisée des dépenses reposant sur le respect de bonnes pratiques.
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