E N menaçant de ne plus prélever les cotisations ASF (qui financent la retraite à 60 ans), le Medef a voulu mettre les syndicats devant le fait accompli. A ce coup de force, la riposte aura été idoine, avec d'énormes manifestations nationales qui ont souligné l'attachement des Français à un acquis social et démontré qu'ils ne se laisseront pas dicter les solutions patronales.
Comme pour les crises internationales, au-delà d'un conflit, il y a inévitablement une négociation, c'est-à-dire la recherche d'un accord. Le patronat ne peut pas, même s'il a raison sur le fond, imposer des pourparlers sans conditions. Il ne peut pas, sous le prétexte que le gouvernement est singulièrement absent de cette crise, prévoir l'issue des discussions avant qu'elles n'aient repris. Mais, de la même manière, les syndicats de salariés, qui ont exprimé leur mécontentement avec succès, n'ont pas avancé d'un pouce dans la recherche d'un accord. De part et d'autre, on en est à se faire peur, en évitant de revenir sur le fond du problème ; et on a même aidé Lionel Jospin rester en dehors d'une crise qui n'explose aujourd'hui que parce qu'il a sciemment différé une réforme, sans doute parce qu'il sait qu'elle serait impopulaire, à un an des élections générales et présidentielle.
Les postures et le fond du problème
On observe que, depuis un mois, les postures, dans cette affaire, ont eu plus d'importance que le financement des retraites lui-même, dont on ne parle quasiment plus. Le Medef se livre à la provocation, les syndicats hurlent, le gouvernement cherche à tirer les dividendes politiques du conflit, mais chacune de ces trois parties sait que les attitudes formelles n'ont pas la moinde importance. La retraite à 60 ans est un mythe vivant depuis qu'Edouard Balladur a allongé la durée des cotisations, rendant du même coup inaccessible une retraite avancée de cinq ans à beaucoup de salariés. Autrement dit, l'acquis social inaliénable n'existe que pour un certain nombre, ceux qui auront cotisé pendant 40 ans à l'âge de 60 ans, c'est-à-dire ceux qui se sont mis au travail à l'âge de 20 ans, avec la formation qu'on imagine.
De sorte que, lorsque les salariés jurent que la refondation sociale ne sera pas une régression sociale, ils se leurrent ou font semblant d'y croire : ce n'est ni le patronat ni le peuple qui décide, c'est la réalité démographique. L'argument cruel du patronat (Si les salariés veulent cotiser davantage pour avoir leur retraite à 60 ans, après tout, nous n'y voyons pas d'inconvénient) rappelle à tout un chacun qu'il ne fait qu'aligner des chiffres et que si on ne réforme pas, et aussi rapidement que possible, les régimes de retraites, ils finiront par disparaître dans une faillite retentissante.
Ce n'est pas un malheur de vivre plus longtemps
L'homme a besoin de tout, de nourriture, d'éducation, de soins, et de dignité quand il atteint le troisième âge. Cela veut dire qu'il n'est pas possible de développer un budget au point où il élimine un autre budget. La crise de la santé en France peut se résumer à ce constat : on peut accepter que les dépenses de santé augmentent, on ne peut pas accepter d'y consacrer une part si large du revenu national qu'il ne resterait plus rien pour l'éducation, par exemple.
Il en est de même pour la retraite. Les cotisations sont déjà très élevées, et elles n'augmenteraient encore qu'au détriment du pouvoir d'achat. Ce qui veut dire qu'au nom d'un confort ultérieur, il faudrait se priver aujourd'hui de biens essentiels. Ce n'est pas possible.
Les pistes qui conduisent à la solution ne sont donc pas d'ordre financier. Elles consistent d'abord à faire le constat démographique qui s'impose et qui n'est nullement catastrophique : les Français vivent plus longtemps et leurs retraites coûtent donc plus cher à la communauté nationale. Voilà un acquis (auquel la médecine française n'est pas étrangère) qui vaut bien, et même plus, que l'avantage acquis de la retraite à soixante ans. Si les Français vivent plus longtemps, si leur qualité de vie est meilleure au troisième âge, ils sont en mesure de travailler au-delà de 60 ans, et pour beaucoup de ces sexagénaires, la capacité de rester actif serait une délivrance.
Bien entendu, personne n'est obligé de partir à 60 ans. La première mesure à prendre consisterait donc à supprimer la retraite couperet à 65 ans. L'employeur ne prendrait pas de gros risques à laisser à son poste l'employé de plus de 65 ans : il a forcément une grande expérience et, s'il est en bonne forme physique et mentale, il demeurera très utile. Mais il coûte plus cher, à cause de l'ancienneté, qui est rétribuée. C'est la raison pour laquelle, le patronat qui, aujourd'hui, fait de la prolongation des carrières son dogme principal, a jeté dans l'inactivité des centaines de milliers d'employés et de cadres de 55 ans et plus, à l'époque des restructurations, lorsqu'on diminuait les effectifs et qu'on remplaçait des salaires élevés par des salaires bas payés aux jeunes qui arrivaient sur le marché du travail.
Les syndicats sont donc fondés à dire que, après avoir bénéficié des mesures sur les retraites anticipées, le Medef réclame aujourd'hui exactement le contraire et au fond, n'énonce de politique que conjoncturelle et au service de ses propres intérêts.
Cependant, aucun mouvement de masse comme les manifestations de jeudi dernier ne peut traduire des intérêts individuels. Nous avons un mal fou, en France, à nous distinguer les uns des autres et nous continuons à croire que ce qui vaut pour un vaut pour tous. C'est, bien entendu, totalement faux : je dois respecter le mineur de fond ou le soutier qui exige sa retraite à 60 ans et je dois même contribuer, par le biais de la répartition, à lui en financer une partie ; mais si je veux continuer à travailler à 61 et 62 ans (et même à 66 ou 67), il ne devrait pas y avoir de loi (ou de règle) pour m'en empêcher.
La liberté ou la mort ?
Comme le système de santé, le système français de retraites est à sauvegarder, même s'il coûte cher à ceux qui versent les cotisations les plus élevées, par le biais des retraites complémentaires. Il n'est pas exclusif d'un système faisant appel à l'épargne, et il peut être grandement amélioré. On n'a pas besoin pour autant de se jeter des anathèmes sous le prétexte que quelqu'un parle de l'épargne (le gouvernement ferait bien d'envisager de la détaxer dans le cadre de la préparation des retraites individuelles) ou sous le prétexte qu'un autre considère comme sacré l'âge de 60 ans, qui serait la ligne d'horizon au-delà de laquelle certains voient la liberté alors que d'autres perçoivent le commencement de la mort. Nous n'avons pas tous besoin de la même retraite et, dès lors que nous nous serons convaincus de ce premier principe, nous pouvons renforcer, rationaliser et perpétuer le système actuel. Nous pourrons ensuite admettre que celui qui travaille plus longtemps mérite une retraite améliorée qu'il touchera nécessairement pendant moins d'années ; et que celui qui travaillera moins longtemps devra accepter une retraite d'un montant moins élevé. C'est bête comme chou : on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
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