Sans filtre, le monde est triste

Le monde est-il une fable ? Et le cinéma, le plus bel écrin pour la satire ? Sans filtre de  Ruben Östlund Palme d'Or 2022 au dernier festival de Cannes, illustre comment de vrais acteurs, dans de vrais décors ou presque renouvellent avec brio la structure narrative de la parabole ou du conte. Dans cette histoire qui se déroule sur trois chapitres, flotte généreusement un brin d'anarchisme qui résiste efficacement à un monde binaire, celui des bons et des méchants, des ultra-riches et du lumpenprolétariat. Ici, les beautiful people se révèlent d'un ennui profond, prêts à s'écharper pendant des heures pour une addition de restaurant. Quant aux misérables, ils seraient prêts à tout pour conserver de nouveaux privilèges fraîchement gagnés. Bref, le monde est désespérément triste, comme le confirme le titre original du film, Triangle of Sadness. Certes, le scénario a été construit à partir d'un croisement génétique improbable entre Titanic et la Grande Bouffe. Mais au-delà du propos qui déconcertera les derniers idéalistes, c'est aussi un bel objet de cinéma avec de nombreuses trouvailles. On déconseillera toutefois de regarder le DVD après un repas bien arrosé. Et surtout après la projection, on se dira que la vie est nettement plus cruelle que n'importe quelle fable cinématographique, elle qui a emporté un jour d'été 2022, de manière brutale et cruelle Charlbi Dean Kriek âgée de 32 ans, révélation du film à la suite d'une septicémie foudroyante. 

Sans filtre, de Ruben Östlund, éditeur M6 vidéo.