Quinze ans après son ouvrage pionnier sur le stress au travail, le Dr Patrick Légeron, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne à Paris et fondateur du cabinet de conseil aux entreprises Stimulus, fait le point dans un nouvel opus.
La France reste « un très mauvais élève » en matière de prévention du stress au travail, estime-t-il. « Quinze ans après, on est sorti du déni dans lequel se trouvaient les entreprises françaises, le stress au travail est même surmédiatisé. Si le contexte est complètement différent, les résultats n'ont pas changé », déplore-t-il.
Une prise en compte tardive
Comparée à certains pays d'Europe du Nord, par exemple, la France a, selon lui, tardé à s'emparer du sujet. « C'est en 2008 que les partenaires sociaux ont signé un premier accord national interprofessionnel sur le stress au travail. Au Danemark, de tels accords ont été signés dès 1977 », précise le Dr Légeron. En France, la souffrance au travail serait trop souvent considérée comme noble, rédemptrice. « On ne peut continuer à proscrire la joie, le rire et l'entrain au travail. Les salariés sont, par ailleurs, nombreux à souffrir du manque de reconnaissance de leur hiérarchie : une meilleure formation des managers s'impose. Enfin, des études ont montré que les Français sont les champions européens du surinvestissement au travail. Or, c'est précisément ce surinvestissement, couplé aux mauvaises conditions de travail, qui favorise l'épuisement professionnel », conclut le Dr Légeron.
C'est dans les années 1980 que le Dr Patrick Légeron prend conscience de l'impact de la souffrance au travail sur la santé physique et mentale des individus. Interne en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne, il s'attend alors à ce que les patients lui parlent de leur vie sociale, amoureuse, sexuelle. Mais, à son grand étonnement, ceux-ci lui confient davantage leurs problèmes professionnels avec leur patron, clients et salariés.
En fin d'internat dans un hôpital universitaire en Californie, il rencontre, par ailleurs, des psychiatres exerçant en entreprise pour y étudier l'impact de l'environnement du travail sur le psychisme et réfléchir à de nouvelles organisations du travail favorables au bien-être. Ces deux éléments marquants des années d'internat du Dr Légeron servent de fil directeur à toute sa carrière.
Vague de suicides
Lorsqu'en septembre 2001, il publie son premier ouvrage sur le stress au travail, la question du stress n'est pas (ou peu) abordée dans les milieux professionnels. « Mis à part certains médecins du travail et responsables de ressources humaines (RH), les entreprises ne s'intéressaient pas au stress au travail », affirme-t-il. Les choses changent en 2007, avec la vague de suicides survenus dans certaines entreprises françaises. « Ce thème est, désormais, surmédiatisé. Responsables RH, médecins, partenaires sociaux... tous se sont saisis de cette problématique », indique le Dr Légeron.
Malgré cette prise de conscience, les changements – en termes de bien-être, de management, de diminution du stress des salariés – ne sont pas au rendez-vous au sein des entreprises françaises. Celles-ci se positionnent davantage dans la « réparation que dans la prévention des risques psychosociaux », souligne le Dr Légeron.
Changer les pratiques et les mentalités
Face à ce constat, le Dr Légeron décide alors de rédiger son deuxième livre sur le stress au travail*. Un ouvrage dans lequel il met, notamment, en exergue les failles du système français. « Les connaissances scientifiques actuelles – très importantes – sur le stress au travail ne sont pas transposées, de manière pratique, dans les entreprises. Par ailleurs, le stress au travail a été largement appréhendé par les partenaires sociaux et le ministère du Travail mais le ministère de la Santé ne s'exprime pas sur ce sujet », déplore-t-il. Autre problème pointé du doigt par le Dr Légeron : aujourd'hui, le concept de « burn out » n'est pas bien défini et n'appartient à aucune classification médicale. « Que faire d'un concept qui n'apparaît pas en médecine ? Comment le définir ? Où est la frontière entre l'état « normal » et pathologique ? Que recommander aux entreprises pour prévenir ce fléau ? C'est l'objet d'un rapport que je remets prochainement à l'Académie de médecine », conclut le Dr Légeron.
* Le Stress au travail, éditions Odile Jacob, 2015
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