Les Français ne sont pas désignés comme des « paresseux » parce que le gouvernement entend « réhabiliter » le travail. La productivité de notre main d'œuvre est supérieure à celle des Etats-Unis, elle-même déjà très élevée. Il n'y a pas plus de paresseux en France qu'ailleurs et s'ils le sont, c'est à cause d'une activité professionnelle qui peut être frustrante, comme dans d'autres pays. En outre, il existe des secteurs d'activité, comme l'hôpital et souvent la médecine de ville, où les cadences sont infernales.
La France, en revanche, est le seul pays où la semaine de travail ne dépasse pas théoriquement les 35 heures ; la réduction du temps de travail (RTT) a été saluée par le gouvernement de M. Jospin comme une démocratisation des loisirs. Mais la gauche n'a pas inventé les 35 heures. Avant elle, une loi qui a pris le nom de l'élu qui l'a proposée, Gilles de Robien, permettait aux entreprises et aux salariés qui le désiraient de travailler moins ou de travailler autrement, par exemple, avec des horaires variables ou décalés.
Une loi rigide
Comme l'affirment aujourd'hui Michel Rocard et Edmond Maire, ce ne sont pas les 35 heures qui posent problème, c'est le fait qu'elles ont été imposées par une loi rigide qui ne donne aucune marge de manœuvre aux entreprises les plus fragiles.
Tout le monde sait que beaucoup de ces entreprises trichent, qu'elles n'appliquent pas vraiment la réduction du temps de travail, qu'elles n'ont pas embauché pour compenser la RTT. Tout le monde sait que le smicard qui dispose de quatre heures de plus par semaine n'a guère les moyens d'aller à l'opéra ou de s'offrir des vacances à l'étranger. Et tout le monde sait aussi que, si les 35 heures pèsent sur le budget de l'Etat à cause des compensations accordées aux entreprises, elles ne suffisent pas à expliquer la totalité du déficit budgétaire.
En laissant entendre qu'il voulait réviser les lois Aubry, le gouvernement a ouvert un débat politique plus qu'économique. L'opposition l'a mis joyeusement au défi de s'engager dans une voie qui lui vaudrait une nouvelle baisse de popularité. Le Premier ministre s'est alors dépêché de calmer le jeu, en niant qu'il fût question de changer la loi, et en retournant à son discours habituel, axé sur le dialogue social et sur des aménagements aux dispositions règlementaires négociées entre directions et salariés.
Dans la majorité et dans l'opposition, on tient des discours fallacieux : personne ne peut dire avec certitude combien coûtent les lois Aubry, combien d'emplois elles ont créés (si elles en ont créé), quel impact arithmétique elles ont sur la production nationale et sur le budget. De sorte que le débat droite-gauche est faussé : on déverse sur l'opinion des chiffres invérifiables. Ici, on fait le procès des 35 heures, là on en exalte les vertus. Elles ne méritent, en réalité, ni cet excès d'honneur ni cette indignité.
La récession
Pour défendre les positions budgétaires de la France face aux Européens, Jean-Pierre Raffarin a annoncé, du bout des lèvres et comme une simple parenthèse dans son propos, que la France a été, pendant la premier semestre de cette année, en phase « récessive ». Effectivement, la croissance a été négative de moins O,1 %. La récession complique l'application des 35 heures ; quand Francis Mer affirme que le coût de la RTT représente 100 milliards d'euros sans lesquels le déficit budgétaire serait au-dessous des fameux 3 % du PIB, peut-être va-t-il un peu vite en besogne. Mais une chose est sûre : en cas de ralentissement économique ou de récession, les programmes sociaux deviennent très dispendieux parce que les recettes apportées par les cotisations diminuent.
Inversement, une forte croissance et un petit gain supplémentaire de productivité nous auraient permis d'absorber les 35 heures sans grande difficulté, sauf dans les hôpitaux où les effectifs sont insuffisants.
En somme, le gouvernement de Lionel Jospin a eu les coudées franches à cause de la croissance ; le gouvernement Raffarin ne dispose d'aucune marge de manœuvre à cause de la récession. Cela n'a rien à voir avec la « paresse » des Français. Et surtout cela n'a rien à voir avec le discours politique : on a vu que les loisirs supplémentaires accordés aux Français sont parfois illusoires ; de même, la travail ne peut être vraiment réhabilité que si tous les Français ont un emploi. C'est d'ailleurs le défaut dans l'armure de la réforme des retraites : il est bon que les Français puissent travailler au-delà de 60 et même de 65 ans pour autant que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail sont embauchés. En matière d'emploi, de productivité, de temps de travail, de retraite, écartons-nous des dogmes.
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